jeudi 11 avril 2013

Approche des violences collectives (Sironi)

« Comment devient-on un criminel contre l’humanité ? »

Que regroupe cette catégorie et que savons-nous sur les criminels contre l’humanité (au sens où ils tuent plusieurs personnes pour des raisons politiques) ?

Il y a plusieurs thèses. Que savons-nous sur les tortionnaires, les bourreaux, les massacreurs ?… Dans le cas de crimes contre l’humanité, on est dans quelque chose d’organisée.
« Comment est-il possible qu’un être humain puisse faire des choses pareilles ? » à Quand ces tortionnaires tuent des civiles, des femmes, des enfants, ils le font de manière massive.

Ce qui définit une criminalité contre l’humanité ou  non c’est quand ce crime est fait au nom d’une appartenance politique religieuse, ethnique etc. C’est en ce nom que l’on va être tué. On est tué parce qu’on est le représentant d’un groupe qui « n’a pas lieu d’exister ».

La particularité des auteurs de crimes contre l’humanité c’est qu’une fois qu’ils sortent de ce contexte politique, les tortionnaires ne tueront jamais plus.

Les viols sont utilisés comme arme de guerre. Ils sont planifiés. Les viols sont organisés pour déculturer ou pour souiller, entacher un groupe culturel parce qu’on veut atteindre la culture : « Maintenant tu n’es plus pure ».

Exemple : En 92, Les Serbes qui étaient en Bosnie avaient pour mission de faire des viols collectifs. On prenait toutes les femmes, on les enfermait dans des hangars et on les violait à répétition. Ils violaient tout le monde (jeunes/vieilles ; femmes/enfants) à Il y a bien une intentionnalité.
***Question autre que l’on peut se poser au sujet du viol : « Comment peut-on investir un enfant du viol ? » Lorsqu’on regarde son enfant, on voit les yeux de son violeur.***

« Comment peut-on tuer des milliers de personnes ? »

Qu’est-ce qu’on a dit sur ces personnes qui sont devenus des criminels contre l’humanité ?

Erich Fromm a écrit le livre « La passion de détruire » dans lequel il s’est intéressé à la personnalité d’Hitler. Il le décrit comme un pervers nécrophile  (nécros : mort / phile : aimer) parce qu’il rentrait dans une sorte d’extase, il se faisait projeter plusieurs fois par semaine des scènes d’horreurs, des images de morts, de destructions. Il avait cet attrait pour la destruction mais sa perversion n’est que la conséquence – cela ne dit rien sur le « comment il est devenu comme ça ». Erich Fromm est beaucoup dans la description d’Hitler mais il est peu porté sur le « pourquoi et comment il est devenu ce qu’il a été ? ».

T. Adorno (dans les années 50) est d’origine Allemande (psychologue + psychanalyste), il disait qu’il était convaincu de l’existence d’une psychopathologie des criminels nazis. C’est ça le problème avec ces criminels, c’est que quand ils ne sont pas en train de massacrer des gens pour des raisons de guerres, ils sont de bons pères de familles etc. T. Adorno ne comprenait pas qu’une fois sortis du contexte de guerre par exemple, ces criminels étaient « comme vous et moi ».
 Quand on est placé dans des situations de frustrations, on peut retrouver des formes d’impulsions criminelles mais c’est assez rare. Ce sont des types psychologiquement froids qui administrent froidement des meurtres. Il faut avoir un type de personnalité. Les criminels contre l’humanité ne tuent pas dans la haine. Pour tuer, il faut être dans une froideur : « comment sont-ils devenus aussi froids ? »

Il y a une autre thèse, cette fois ci de Primo Levi (« Si c’est un Homme » ce livre est le témoignage de quelqu’un qui a vécu dans les camps de concentration) – Primo Levi considère que les tortionnaires et les criminels nazis sont de la même étoffe que les autres hommes : « Leurs actes sont la conséquences d’une éducation particulière ». Pour lui, ce sont des hommes comme tout le monde. Primo Levi pensait à l’éducation Allemande (éducation très rigide).

En 1945, Pour comprendre les nazis, les gens disaient « Ce sont des montres ». Il y avait la théorie du monstre. Les psychologues pensaient que pour pouvoir faire une chose pareille, il fallait être malade mais comment peut-on considérer quelqu’un comme un monstre alors qu’il n’est pas né comme ça.
« On ne nait pas tortionnaire, on le devient. »

Alice Miller s’est intéressée à la « pédagogie noire ». Comme Primo Levi, elle s’est intéressée à un type d’éducation qui était en vigueur en Allemagne. Ce système incitait les personnes à éduquer leurs enfants de telle manière : Le petit homme est un sauvage. Il faut l’humaniser. Or, des théories éducatives, il y en a dans toutes les sociétés et elles changent à travers les époques.
En Allemagne, on pensait qu’il fallait civiliser les enfants et donc leurs enlever toute leur part de sauvagerie. Tout ce qui n’était pas sage faisait partie de la sauvagerie. Il fallait leur enlever pour les humaniser. Il y avait pour cela des châtiments corporels qui étaient prescrits. On vendait des harnachements pour les  enfants de manière à ce qu’ils se tiennent droit par exemple (pour que l’enfant se tienne droit à table). Les petits garçons devaient dormir avec les pieds et les mains attachés pour qu’ils évitent de se toucher parce que les petits garçons explorent leur corps.
Le châtiment corporel est « pour le bien » des enfants, c’est ce que les adultes, les parents, leurs disent.

Le président Schreber  est celui qui a inventé cette pédagogie qui a eu beaucoup de succès. On peut vraiment faire le lien entre les méthodes éducatives et les pathologies qui en découlent.
Tous ceux qui ne sont pas forts étaient vus comme des mous : « Moi j’ai tenu le coup, je n’en suis pas mort donc tout le monde doit tenir le coup. »


Nous allons aborder la psychologie des personnes qui commettent des crimes dans un contexte précis et qui, sortis de ce contexte, n’en commettront plus (de crimes). Ces criminels sont différents des criminels singuliers.
1er type de théorie concernant ces criminels : ce sont des malades et notamment des malades mentaux. [Revoir ce que j’ai écrit sur Hitler dans le cours précédent].
2ème type de théorie : théorie qui dit qu’on devient tortionnaire du fait d’une particularité d’un modèle éducatif (lié à l’éducation). Qui étaient les tenants de ces théories ? Nous avons tout d’abord Primo Levi (rescapé d’un camp de concentration) selon lui les tortionnaires sont de la même étoffe que les autres hommes. Autre hypothèse d’Alice Miller : forme de pédagogie qui va favoriser le fait qu’on puisse devenir un criminel contre l’humanité
3ème type de théorie : ceux qui disent que les tortionnaires sont tout à fait normaux, que le mal est en nous (et donc que l’on n’a pas besoin d’avoir été façonné d’une façon particulière) – chacun de nous peut devenir un bourreau, un tortionnaire.
Hannah Arendt défend cette thèse de la banalité du mal : l’homme ordinaire est capable de devenir un criminel contre l’humanité.  
Tomkiewicz défend également cette thèse : Il y a pour lui l’idée d’un continuum entre le normal et le pathologique. Il évoque un glissement qui s’opère chez l’individu quand la fin justifie les moyens.
Autre tenant de cette thèse : Andries a fait une étude, un rapport en 1990 sur la violation des coutumes de guerre par les militaires Belges qui servaient par exemple au Congo. Ces militaires faisaient des manœuvres et étaient repérés parce qu’ils étaient dans les violations des coutumes de guerre. Il y a un code de la guerre qui lorsqu’on fait la guerre doit être respecté. Il a également étudié le massacre de Mi Lai – il s’est rendu compte que les crimes dans ces contextes-là étaient le fait de militaires très bien notés, sur-adaptés au contexte militaire, désireux d’accomplir leur mission à tout prix à cela a donc plutôt affaire à l’idéal du moi : ces militaires servaient leur idéal du « moi » de la manière la plus impeccable possible. Ils allaient plus loin que ce qu’on leur demandait (hyper-adaptation au milieu militaire) Andries évoque la thèse du dédoublement de la personnalité comme étant à l’origine de ces actes barbares – Le dédoublement de la personnalité est plutôt une conséquence pour s’adapter à un contexte et non pas l’origine qui expliquerait que ces militaires ont commis ces massacres.

Nous avons également des psychologues qui invoquent la pulsion de mort : c’est une instance, une théorie sur le fonctionnement psychologique. Le statut de la pulsion expliquerait l’auto destruction, le fait que l’on a tendance à être dans la destruction, dans l’impossibilité à ne pas être violent. La pulsion de mort peut nous pousser à commettre des actes d’une grande violence. Bergret parle de « violence fondamental » : le mal est en nous.

Il y a des travaux d’historiens [Christopher Browning (historien) a étudié les archives judiciaires Allemande, toutes les pièces du procès, les biographies etc.] qui ont décrits des bataillons entiers de nazis qui ont massacré des personnes notamment en Pologne : exemple > bataillon 101 de réserve – en l’espace de quelques mois (de Juillet 42 à Novembre 43) ils ont assassiné d’une balle en pleine tête 38 000 victimes soit 7600 meurtres par personnes.)  Ces militaires ont été condamnés à une peine de principe.
[Article 122-4 du code pénal] On n’est pas obligé d’obéir à des ordres si l’on peut prouver qu’ils sont manifestement illégaux.
Pour voir comment on a appris à obéir à des ordres, il est judicieux d’aller voir dans les racines de l’éducation – la question de l’obéissance nous traverse tous.
Expertise de criminel de guerre à Il y a celle de Duch (procès n°1)TSKR (Tribunal Spéciale Khmer Rouge) – ECCC Extraordinary Chumbers  in the Court of Cambodia.
Goldensohn a étudié la personnalité des 21 condamnés du procès de Nuremberg. Il a fait une étude psychologique et psychiatrique de chacun des condamnés et  aucun n’avait de psychose, aucune psychopathologie. Gilbert Marcus (psychologue Américain) a étudié et accompagné les condamnés pour voir leur état psychique pendant le procès et faire en sorte qu’ils ne se suicident pas. Il a tenu un journal de Nuremberg (1947 – ce journal n’est plus édité mais on peut le trouver sur internet). Il y a également eu des tests psychologiques passés sur les condamnés, aucun n’était déficient mental. Certains avaient même un QI supérieur à la moyenne. On ne retrouve aucun profil type dans les condamnés si ce n’est une sur-adaptation. Dans les protocoles de Rorschach àOn a envoyé à de nombreux psychologues les réponses données par les condamnés au test de Rorschach. Personne n’a renvoyé  d’analyse de résultats. En 1945, les psychologues s’attendaient à voir des monstres en ces condamnés et cela les a pris au cœur, choqué de voir que leurs résultats étaient normaux. Les psychologues ne se sont absolument pas concertés pour « ne pas renvoyer le protocole de Rorschach ». Pourtant, personne n’a donné de réponses après avoir vu les tests de ces condamnés. 30 ans après, une psychologue s’est enfin exprimée et a expliqué le « pourquoi » elle n’avait pas répondu. Elle avait trouvé une telle banalité dans le résultat des tests que cela l’avait stupéfaite. La seule remarque qu’elle a pu faire était qu’il y avait dans ces résultats une propension plus importante pour voir des caméléons – ceux qui ont vu dans les tâches d’encre le caméléon étaient ceux qui n’avaient pas été pendus.
Tuer laisse des traces y compris chez l’agresseur.
Toujours dans l’idée qu’il n’y a pas de psychopathologie particulière àCes hommes, ces criminels étaient des hommes normaux placés dans un contexte précis ou la transgression était devenue autorisée du fait d’une idéologie. /!\ On ne devient pas tueur comme ça. On organise le fait que tout le monde dans une nation va pouvoir devenir criminel de guerre.
La question du contexte a été étudiée par la suite. Milgram a fait une expérience pour étudier « la soumission à l’autorité ». Son livre montre comment il a fait différents protocoles.
Pour devenir l’auteur de violences collectives, il faut toujours qu’il y ait des conditions. C’est un groupe d’humains qui veut faire en sorte qu’un autre groupe devienne criminel. Il faut donc qu’il y ait un certain contexte. Placé dans ce contexte, on pourra éventuellement être amené à pratiquer des actes que l’on ne ferait pas dans un autre contexte. C’est donc faux de dire que le mal est en chacun de nous, que c’est inné (que l’homme peut tuer). L’homme est avant tout (dans ce contexte) instrumentalisé : On peut créer des conditions qui rendent les humains particulièrement violents.
Expérience de Zimbardo : ils ont reconstitué l’univers d’une prison. On est un peu dans la logique des jeux de rôles. Certains élèves avaient le rôle des prisonniers pendant que d’autres « jouaient » les gardiens. Au bout d’une semaine, tout le monde s’était identifié au rôle. Les gardiens s’identifiaient au rôle de gardien et se mettaient à torturer, punir ceux qui étaient réellement leurs camarades. Mis dans un certain contexte, adhérant au contexte, les étudiants sont devenus violents. Dans ce contexte donné, des individus voulaient jouer le rôle. L’enseignant lui-même avait changé – il s’était identifié à un directeur de prison (il n’est pas rentré chez lui tous les soirs. Sa femme a vu qu’il avait changé et lui a demandé d’arrêter l’expérience sous peine de divorce). Le contexte crée un certain type de psychologie particulière. Un génocide peut se passer n’importe où, même en France ! Il y a une intentionnalité pour fabriquer des tortionnaires, des criminels de guerre.
« Il est difficile d’exister par rapport à soi-même, d’être singulier quand on a besoin du groupe, d’être reconnu» Il est important de voir comment chacun se situe par rapport à cela : cela peut dépendre de certaines cultures par exemple [Dans certaines cultures, l’individu n’existe pas. C’est le groupe qui compte. Dans les cultures plus individualistes, on doit créer le groupe. Le nazisme c’est l’idéologie du groupe. Certaines personnes sont très sensibles à un discours de groupe : le populisme – certaines blessures peuvent être très facilement mobilisées par un certains nombres de personnes qui ne vont plus réfléchir]
Rectangle à coins arrondis: On ne peut pas juste se contenter d’un argument essentialiste, innéiste. On doit expliquer comment les choses se sont faites. Concernant la criminalité politique, on peut dire qu’on ne nait pas tortionnaire, on le devient. 

 

On va s’arrêter là avec les travaux faits sur différentes thèses.

« Mais comment fait-on en sorte que quelqu’un devienne un tortionnaire ? »
Nous allons examiner ensemble les modes de « fabrication » des auteurs de violences collectives
Il existe des méthodes spécifiques, des manières de faire, pour fabriquer des tortionnaires. On va examiner ces différentes situations.
Quels sont les modes de fabrication des auteurs de violences collectives ?
Quand on dit « fabrication »– il y a une intentionnalité. On veut véritablement fabriquer des tortionnaires.
Le premier type de  fabrication : la fabrication par initiation- moyennant l’utilisation de certaines techniques spécifiques traumatiques. On induit un traumatisme chez quelqu’un pour le désaffilier de son groupe d’appartenance de manière à l’affilier au groupe des tortionnaires. Des groupes terroristes emploient ce genre de méthodes. Il existe des formations spécifiques. La prof a retrouvé un document au Népal (donné par un médecin de là-bas qui soignaient des victimes de torture. Son oncle travaillait pour le gouvernement et a participé à une formation). Qui forme ? Il y a des Français qui ont formé les gens à la torture. Ces méthodes de formation par l’initiation ont été utilisées partout (Inde, Afrique, Etats-Unis…).
L’exemple qui va servir à illustrer ce type de « fabrication » est un témoignage particulièrement explicite : tortionnaires de la politique Grecques.
Dans les années 70, des tortionnaires ont parlé (film : « le fils de ton voisin ») et ont expliqué comment ils ont été formés. Ces tortionnaires racontent. On a un contexte qui est le service militaire. A l’époque ces Grecques étaient appelés au service militaire et à l’issu de ce service, on leur demandait s’ils voulaient rester suivre une formation spéciale qui allait durer 2 – 3 mois : on leur disait que ça allait être dur, qu’ils allaient risquer leur vie mais que si ça les intéressait, ils pourraient après faire partie des services de forces spéciales. On leur a dit qu’on leur a fait cette proposition parce qu’ils avaient été repérés, remarqués (courage, force etc…).  Les militaires se sont sentis valorisés. En réalité, ces personnes étaient sélectionnées parce qu’ils étaient au chômage, issus de milieux très pauvres. Il y avait un leurre au niveau du recrutement.  Cette proposition n’a pas du tout était faite à des étudiants par exemple. Cette formation proposée était rémunérée. Ils ont proposé cela à un nombre de personnes précis > 15. Pourquoi 15 ? C’est la logique des petits groupes. On va avoir  besoin du groupe pour cette fabrication de bourreaux, pour qu’ils se serrent les coudes. Dans un groupe trop grand, des personnes pourraient être en désaccord. Tout a été pensé.
On leur a dit qu’ils allaient être séparés de tous les autres (ne plus être en contact ni avec leur famille, ni avec leurs amis etc.). L’idée est de désaffilier ces individus. On coupe les liens habituels (on les sort de leur groupe d’appartenance : désaffiliation). Les militaires s’engagent à ne pas communiquer. On les emmène loin, hors de la ville et ils sont entre eux (groupe de 15).  
La formation commence. Ce qu’on a remarqué, c’est que 3 phases vont se succéder. En 3 mois, on peut fabriquer un bourreau (mais cela peut également être fait en 3 semaines dans ces types de formation par initiation). Ce qui est important, c’est que la durée des séquences soit toujours la même (3 fois 1 mois ou 3 fois 1 semaine par exemple).
Phase 1 : Valorisation non pas de l’identité initiale mais de celle du «pourquoi on les a recrutés » (parce qu’ils sont « forts », « courageux » etc… du moins c’est ce qu’on leur a fait croire). Ils étaient ensemble (en groupe), tout était minuté (code obsessionnel). Ils a avaient un emploi du temps extrêmement précis. Les règles étaient connues. Ils avaient un instructeur. (On a instrumentalisé la possibilité d’idéaliser l’instructeur : très poli, très correct, très respectueux, très fort). On leur a dit qu’on les avait recrutés pour leur bravoure, leur courage etc.
Phase 2 : Au bout de 3 semaines, déconstruction brutale et soudaine de l’identité initiale = la deuxième phase commence de manière complètement imprévisible. En pleine nuit on allume la lumière, on leur demande de s’habiller puis de se déshabiller et de se recoucher. Mise en scène de l’absurdité. On leur demande de creuser un trou et de le reboucher après. On déconstruit totalement l’identité, on organise la perte des repères (Contrairement à la phase un où on accentue les repères en donnant tout le planning précisément). Tout d’un coup, on organise un traumatisme : l’instructeur les insulte, les tutoie. Le groupe est perplexe, il ne comprend plus rien. Il n’y a plus d’emploi du temps : à n’importe quelle heure de la nuit on peut venir les chercher pour leur faire faire des marches etc. Il n’y a plus aucune règle donc plus aucune prévisibilité. Certains avaient la photo de leur petite amie par exemple, on la prend, on la déchire (on la jette dans les toilettes). Il y a une intentionnalité de désaffilier les militaires à tout ce qui les lie à leurs liens d’avant de façon à métamorphoser la personnalité. L’instructeur se moque de la petite-amie. On met en scène l’humiliation. On sème de la confusion. Le groupe doit obéir à des ordres absurdes. On les réunit en pleine nuit et on leur dit : « Si vous voulez, vous pouvez partir. » Les militaires se disent donc « Si je pars, je suis un trouillard. » (Le raisonnement psychologique est déjà prévu). Ils se regardent les uns les autres. Il y en a toujours quelques-uns mais trop peu qui partent. Ceux qui partent sont dénigrés par ceux qui restent. Ceux qui restent n’avaient pas le désir véritable de rester, ils n’étaient pas fascinés par l’armée Grecques mais ils avaient déjà commencé à obéir malgré eux (à faire des choses absurdes etc) donc c’était plus facile pour eux psychologiquement (par psychologie interne) de rester que de partir. Ils ne voyaient pas comment expliquer à leur famille ce qu’ils avaient fait. Cela aurait été « être déloyal » vis-à-vis d’eux même. On a organisé une perte de cohérence interne.

Psychologiquement pendant ces 3 semaines, on leur apprend que penser ne sert à rien c’est-à-dire qu’on ne peut rien prévoir puisqu’il n’y a pas de règles (on ne sait pas quelle humiliation va arriver, quand on va être levé, quand on va aller faire les marches). On va leur apprendre à abdiquer leur capacité de penser. Ceux qui s’y adaptent s’adaptent au fait de déléguer leurs pensées à d’autres.
On fait en sorte que leurs attachements d’avant soient éradiqués.

Arrive une 3ème phase : Construction ou attribution d’une nouvelle identité = Cette 3ème phase dure également 3 semaines. Tout à coup du jour au lendemain, les instructeurs redeviennent comme ils étaient en phase 1 (polis, respectueux, ils les vouvoient…). Les militaires mettent leur « besoin de logique » de côté. Tout est prévisible. Il y a de nouveaux un emploi du temps précis. On leur fait faire des choses où ils risquent la mort (certains exercices sont extrêmement difficiles). La mort est présente (comme dans les rituels d’initiation). L’idée de secret lie des impétrants. Dans cette dernière phase, il y a des dépassements de soi. Ils sont tellement contents d’avoir survécu à la deuxième phase (le monde est redevenu cohérent, compréhensible) qu’ils se donnent à 100%. Ils sont soulagés, contents parce que le monde est redevenu cohérent et compréhensible. Ils se sentent faire partie de l’élite.
La formation au contenu politique arrive. Dans ce type de formation, ce n’est pas la nature de l’endoctrinement qui joue. Dans cette 3ème phase, il y a un rite : on les réunit. Ils sont habillés de propre, on leur remet des insignes particuliers, des galons, un képi particulier. Ils sont distingués. Ils font partie d’un groupe d’initiés. On leur dit « à partir d’aujourd’hui vous êtes au-dessus des lois. Les lois auxquelles vous obéissez sont celles de notre groupe. » Si le régime tombe, ces militaires disent « on m’a dit que je ne répondais pas aux lois communes. ». A la fin de la formation, ils ont quartier libre et ils se mettent à transgresser – le « au-dessus des lois » ils le mettent en acte. S’il y a un feu rouge, il le passe parce qu’ils sont « au-dessus des lois ». Quand ils reviennent dans le camp, la première chose qu’on leur demande de faire c’est de torturer quelqu’un « et alors on y va » sans se poser de question. Ce moment de violence est en lien avec la phase deux. Ils ont eux-mêmes subit des humiliations mais ils se déchargent sur une personne qui n’a rien fait pour mériter ce sort. Après cela, ils sont de véritables tortionnaires. Ils ont acquis que « penser ne sert à rien ». On leur dit de torturer quelqu’un et ils exécutent les ordres.  On les a fabriqués obéissants
Est-ce que cela peut ne pas fonctionner ? Quand on est dans cet état d’esprit, qu’on a déjà mis en action le « je suis au-dessus des lois », on est dans la toute-puissance. On revient et on nous demande tout de suite de torturer quelqu’un, on le fait immédiatement.
Parfois cela ne fonctionne pas mais c’est dans le cas où il y a une contradiction avec une de leur partie de « moi ». Ces militaires résolvent  généralement ce « problème » par l’alcool, les substances toxiques car elles permettent de faire des clivages entre différentes parties de soi.
Exemple : enfants soldats – on les désaffilie de leur groupe d’appartenance. Ils sont tenus au secret, on les renomme et on leur demande de tuer leurs parents. Si l’on demande à un enfant de tuer ses parents, il n’est plus « enfant » - Après, ils sont désaffiliés parce qu’ils ont vécu dans la transgression. Ce sont de vraies fabrications psychologiques qu’il est très difficile de détruire. Après ce genre d’expériences, on ne peut plus redevenir comme avant.
*impétrant = quelqu’un en train d’être initié (dans un groupe sectaire, dans une initiation etc).
2ème type de formation de fabrication (ex : pour fabriquer un nazi convaincu par exemple) : formation de type pédagogique c’est-à-dire qu’il faut un contenu. On fabrique l’ennemi. On galvanise le potentiel guerrier. Beaucoup de contenus de toute puissance, d’idéalisation du « moi ». Dans ces contenus, on dit des choses qui paraissent incroyables mais placées dans un certain contexte, les personnes sont parfaitement crédules et obéissantes face aux informations, consignes données…
Pareil pour les sectes, les victimes même se demandent comment elles ont pu croire à une chose pareille.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire