LA
CONSTRUCTION DE L’OBJET D’ÉTUDE : DES PRÉOCCUPATIONS ÉDUCATIVES À L’IDÉE
D’UNE ONTOGENÈSE PSYCHOLOGIQUE
1. L’ENFANCE ET L’IDÉE D’ENFANCE DANS L’ANTIQUITÉ
1. L’ENFANCE ET L’IDÉE D’ENFANCE DANS L’ANTIQUITÉ
Les analyses d’Ariès
(1973) façonnent notre représentation historique de l’enfance : sa thèse
=> la croyance en des particularités enfantines différentes de l’adulte est
apparue tard, à l’époque moderne (16ème et 17ème s.).
Dans l’Antiquité (monde grec et latin) l’enfant, dès
sa naissance = membre de la cité et sujet du pouvoir politique -> les
pratiques éducatives sont essentielles car il faut former l’enfant selon les
valeurs et aspirations du groupe :
· jusqu’à 7 ans, il est infant (« celui qui ne parle pas ») car si la
parole n’est pas encore « signifiante », ce n’est pas vraiment
« parler » ;
· après 7 ans, l’enfant est appelé puer ;
· à 17 ans, fin de l’enfance par l’entrée
dans la classe des iuniores :
ceux que l’on peut mobiliser militairement. Cet âge fut défini pour éviter
d’envoyer à la guerre de trop jeunes gens.
Sur un plan juridique, le petit romain est placé sous
l’autorité paternelle qui médiatise la loi de l’Etat et cela commence dès la
naissance car le père doit reconnaître l’enfant en le relevant de terre et
signifier ainsi une prise en charge éducative (mais pouvait aussi
l’abandonner). L’importance de l’enfance et de l’éducation est reconnue.
Paradoxe : Platon pense qu’il faut
chasser de la cité tous les individus âgés de plus de 10 ans si l’on veut créer
une République vraiment nouvelle.
Mais les discours sur l’enfance sont rares, centrés sur
des questions de physiologie (Aristote) ou
de pédiatrie (Hippocrate) et pas de traces
historiques d’une réflexion Ψ sur l’enfance.
Des marginaux anticipent les évolutions futures -> Quintilien déplore le recours aux châtiments
corporels et a l’idée d’une nature spécifique à l’enfance. Il recommande aux
parents et aux enseignants d’en noter les caractéristiques (promptitude
intellectuelle, vivacité de la mémoire, capacité à imiter) et de les utiliser.
2. LES
DISCOURS SUR L’ENFANCE LIÉS AUX DISCOURS SUR L’ÉDUCATION À PARTIR DU MOYEN-ÂGE
A l’instar de Quintilien,
les discours sur l’enfance sont motivés par des préoccupations éducatives. Ils
restent rares au Moyen-Age mais se généraliseront à la Renaissance.
Au Moyen-Age :
· La représentation de l’enfance est marquée
par la culture chrétienne : l’enfant se situe, par nature, entre le bien
et le mal. Socialement, l’éducation familiale est concernée par l’avenir
professionnel et s’appuie sur l’école et l’atelier ;
· L’éducation scolaire connaît une longue éclipse
entre les dernières écoles constituées sur le modèle romain (fin du 5ème
siècle) et les premières écoles religieuses vantées par Charlemagne et qui se développent au 9ème
siècle ;
· Il y a une grande variabilité dans la
condition enfantine. A certaines époques ou dans certaines régions, les
difficultés de la vie obligent à l’indifférence, voire à l’abandon d’enfants.
Ils doivent travailler et de ce fait, dès 7 ans, sont considérés comme
socialement « adultes » ;
· A la fin du 14ème siècle, le
travail chez les artisans (à partir de 7 ans pour les garçons et 6 pour les
filles) est règlementé par un contrat obligeant le patron à fournir nourriture,
vêtement et formation au métier.
La Renaissance :
· le souci éducatif est au premier plan des
représentations de l’enfance. Ainsi, Erasme
propose des « colloques scolaires » : recueils de petites
comédies dialoguées mettant en scène des enfants de façon vivante et réaliste.
L’objectif de ces colloques est de manifester le beau langage et de
fournir des modèles de comportements sociaux à adopter ou à ne pas
imiter ;
· Une formule d’Erasme
(« On ne naît pas homme, on le devient ») relève déjà d’une approche
développementale de l’enfant jusqu’à l’âge adulte. Mais, selon Erasme, elle manifeste la nécessité des
interventions éducatives qui, seules, permettent à l’enfant de devenir
« homme » -> sans
éducation, pas d’humanité…
Au 18ème siècle : Rousseau
· les préoccupations éducatives visent :
à respecter les tendances naturelles
car l’enfant est plus proche de la
nature que de l’adulte ;
à préserver les enfants des influences de
la société adulte. Eduquer n’est pas sociabiliser mais laisser l’enfant
s’exprimer selon sa nature et dans la nature.
· Les travers : Rousseau
se mobilise contre l’emmaillotement des nouveau-nés car la motricité des bébés
doit s’exprimer librement alors que, sans référence directe au nouveau-né, il
propose à se modeler sur les exigences de la nature (les endurcir face aux
intempéries des saisons, des climats, des éléments, à la faim, la soif, la
fatigue). Si le pédagogue doit respecter la nature enfantine, il doit mieux la
connaître : Rousseau présente donc une description des phases
successives de l’enfance dans ses écrits ;
· Les préoccupations éducatives chez les
psychologues du développement se poursuivront avec Claparède
(20ème), Wallon ou Piaget
(21ème). Désormais, l’objet de la Ψ du développement se distingue de
l’objet de la pédagogie.
3. LA
CENTRATION SUR L’ENFANT EN DÉVELOPPEMENT
À partir de 1850, le développement Ψ comme objet spécifique de
l’investigation scientifique se développe grâce à deux ouvrages : celui de Canguilhem, Lapassade, Piquemal et Ulmann (1962/2003)
et d’Ottavi (2001), s’appuyant fortement sur
le premier.
Les chercheurs du 19ème s’interrogent sur
la nature des changements à trois niveaux :
· l’évolution des espèces : la phylogenèse ;
· l’évolution des sociétés : la sociogenèse, (terme aussi employé pour
désigner le caractère social de l’ontogenèse : théories
socioculturelles) ;
· l’évolution de l’individu : l’ontogenèse (terme d’abord limité au
développement de l’embryon).
Les relations entre phylogenèse et ontogenèse : Ottavi
(2001) rappelle que des auteurs ont inventé la loi de « récapitulation » (Haeckel). Cette loi, d’abord formulée à propos de
l’embryon, stipule qu’au cours de son développement, l’individu (ontogenèse)
reproduirait, sur une courte période, la succession des formes d’évolution de
son espèce (phylogenèse) (ainsi un
organisme parcourait tous les stades de l'évolution de l'humanité dans son
évolution biologique, du stade de l’œuf à celui d’adulte).
Sociogenèse : la hiérarchie entre les « races » est une
évidence indiscutable -> l’enfant en développement est assimilé au
« primitif », considéré comme « moins développé ». Spencer (1876) propose de situer les groupes
sociaux sur une échelle d’évolution et cette idée fera long feu. Actuellement,
la sociogenèse désigne les transformations culturelles inhérentes à toute
société mais sans hiérarchisation évaluative. Le concept d’ontogenèse suivra
une évolution analogue.
Au 19ème siècle, les comparaisons s’insèrent dans des débats
théoriques sous 3 aspects :
· Le 1er débat : L’embryologie oppose, depuis la fin du 17ème,
les préformationnistes aux théories épigénétiques du développement de
l’embryon. Pour les préformationnistes,
tout individu se trouve présent soit dans l’œuf (pour certains), soit dans le
spermatozoïde (pour les autres) et ce « germe » n’a plus qu’à grandir.
Pour les partisans d’une épigenèse,
des formes nouvelles apparaissent au cours du développement de l’embryon. Au 19ème
siècle, cette théorie l’emporte sur celle de la préformation ;
· Le 2ème débat concerne celui des espèces, des sociétés et des individus
au-delà de la période embryonnaire. La question est de savoir si les évolutions
sont continues (dans ce cas, les
changements sont quantitatifs) ou discontinues
(on privilégie les différences de nature entre les moments successifs). Ainsi,
pour Spencer, on doit distinguer la notion
de développement, liée à des changements qualitatifs, à des modifications de
structure, de celle de croissance correspondant aux changements quantitatifs.
Le terme « évolution »
recouvre alors, pour Spencer, les deux types
de changements -> développement et croissance ;
· Le 3ème débat concerne la solution proposée pour apprécier les
changements de structures. Les auteurs se représentent le développement comme
une différenciation : c’est la « loi
de von Baer » (embryologiste allemand) qui postule que se développer,
c’est passer de l’homogène à l’hétérogène, de l’indifférencié au différencié,
du général au particulier (cf. Taine). Tous
les niveaux de développement semblent illustrer cette loi générale.
Taine (1876) : « Observation scientifique du comportement d’un enfant ». La
première partie est descriptive et relate le développement du langage chez sa
fille. La deuxième partie pose des questions développementales qui sont
théorisées et au sujet desquelles il cite le linguiste Müller :
des comparaisons entre races douées et mal douées et d’autres considérations
affligeantes. Les premières observations pertinentes sur le développement des
enfants se trouvent ainsi mêlées à des considérations idéologiques malsaines.
Les premières observations d’enfants ont ainsi été
menées afin de faire avancer la connaissance scientifique du développement. La
1ère observation scientifique d’un enfant date de 1787 par Tiedeman, philosophe allemand. Mais c’est
l’article de Taine qui, en raison des
interrogations théoriques de l’époque, a suscité l’intérêt de la communauté
scientifique. Des publications analogues voient le jour, notamment celles de Darwin et de Preyer.
Darwin prend des notes sur les 3 premières années de la vie de son fils en 1839 mais ne les publie qu’en 1877, après avoir lu la traduction l’article de Taine. Preyer réalise des observations du développement des 3 1ères années de son fils. Darwin => évolution des manières de s’exprimer chez l’enfant (expression émotionnelle et communication). Preyer => évolution des capacités humaines par une variété d’activités individuelles et volontaires.
4.
L’ÉVOLUTION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT AU 20ème siècle
a)
1er aspect
->nécessité
de différencier des dimensions du développement : au lieu de
l’analyser en grandes périodes successives, on différencie les domaines
fonctionnels assez homogènes.
En 1973, Wohlwill :
· théorise cette évolution ;
· définit des critères susceptibles de
caractériser la « fonction développementale » comme une manière
de relier des observables spécifiques à une variable temporalisée (l’âge
chronologique) ;
· énonce pour que la définir vraiment comme
telle, il faut ajouter des conditions restrictives -> la possibilité de
relier les moments de la genèse (ce qui se passe au temps t est bien dans le prolongement de ce qui s’est passé au temps t-1, t-2, etc.) ou l’existence d’une
forme d’évolution commune à tous les individus au-delà des différences
interindividuelles.
Cette préoccupation de définir des domaines
d’évolution (motricité, langage, émotions, socialisation…) se retrouve dans les
théorisations actuelles mais l’objet d’étude ne peut se limiter à l’évolution
des capacités cognitives et de l’intelligence : tous les domaines du
fonctionnement psychologique sont concernés dans une approche développementale.
b)
2ème aspect
->ne plus se
limiter à la période de l’enfance et de l’adolescence (années 60 et 70).
· Erikson, en 1950, décrit le « cycle de la
vie » comme une succession de crises développementales auxquelles
l’individu doit faire face depuis la naissance jusqu’à la vieillesse ;
· Huston-Stein et Baltes,
en 1976, débattent des implications théoriques et méthodologiques de la perspective
développementale sur la vie entière : elle manifeste la nécessité de
distinguer les changements développementaux (ontogenèse) des différences observées entre des groupes d’âge mais
pour des raisons liées à des changements historiques -> des personnes d’âges
différents n’ont pas forcément eu les mêmes expériences ni les mêmes formes de
socialisation.
c)
3ème aspect
L’objet des études
développementales s’étend
en suivant les niveaux d’âge (englobant l’âge adulte et la vieillesse) et en interaction avec d’autres domaines de
la psychologie. En 1984, un article évoque la psychopathologie
développementale et retrace l’émergence de ce domaine d’étude dans les années
1970, avec des références à Freud, puisque
l’un des principes de la théorie psychanalytique est que le vécu des évènements
passés détermine le futur.
Dans les années 1970-1980, l’idée est que l’étude des enfants en difficulté et
celle des enfants normaux peuvent s’enrichir mutuellement. Ce qui est nouveau, par contre, c’est de considérer la dimension
développementale des évolutions pathologiques et des interventions
thérapeutiques.
La pathologie :
· est un processus et en tant que processus,
l’évolution pathologique se déroule dans le temps et dois être comprise dans
une perspective temporelle ;
· peut être envisagée comme une perturbation,
distorsion ou dégénérescence du fonctionnement normal ;
· nécessite, pour être mieux comprise, de
comprendre le fonctionnement normal qui sert de référence pour définir la
pathologie.
Plus récemment, Karmiloff-Smith,
en 1998, affirme que « le
développement lui-même est la clé pour comprendre les troubles du développement »
et invite à la création d’une neuropsychologie développementale puisque les
modèles neuropsychologiques adultes sont insuffisants pour expliquer les
données cliniques et expérimentales des jeunes enfants -> l’objet de la psychologie du développement
s’étend à la fois vers la psychopathologie et vers la neuropsychologie.
d)
4ème aspect
A la fin du 20ème siècle, sous l’influence des modélisations
dynamiques non linéaires, il y a une
modification du concept même de développement. Les changements développementaux
menant à des évolutions majorantes (çad toujours dans la direction d’un
progrès) au 19ème siècle, évoluent à présent dans des directions multiples et différentes selon
les domaines d’exercice.
Etudier le développement psychologique revient donc à
étudier toutes les formes d’évolution individuelle, à court terme (microgenèse) ou à long terme (macrogenèse), çad toutes les manières
de réagir à des environnements potentiellement divers. Si des développements
apparaissent semblables, c’est que les individus ont réagi de la même manière à
des environnements analogues. Si des développements sont différents dans des
environnements différents ou en raison de conditions initiales différentes, il
s’agit toujours d’ontogenèse. La
distinction proposée par Hutson-Stein et Bates ne se justifie donc plus.
5.
CONCLUSION ET TRANSITION
Il y a eu une présentation des changements
historiques, les débats théoriques mais peu d’évocation de la question des
méthodes d’étude sauf pour désigner un domaine d’investigation :
l’individu en développement (ontogenèse). D’un point de vue épistémologique,
l’objet scientifique est ce qui informe le scientifique. Aussi, il n’y a pas d’objet
sans méthode. Faire l’histoire de la
psychologie du développement, c’est donc aussi s’intéresser à l’évolution des
méthodes utilisées.
L’ÉVOLUTION DES
MÉTHODES : DES CHRONIQUES DISCURSIVES AUX TECHNIQUES PRODUCTRICES DE
PHÉNOMÈNES
1.
OBSERVATION ET CATÉGORISATION DES COMPORTEMENTS
Les 1ères observations d’enfants au 19ème
siècle sont des chroniques discursives -> noter tous les jours les comportements de
l’enfant observé mais comme c’est impossible, l’observateur retient ce qui
répond à ses questions : acquisition
du langage chez Taine, expression des émotions chez Darwin, dynamisme
de l’activité chez Preyer.
C’est pourquoi la toute 1ère observation
d’un enfant, au début du 17ème, ne fait pas partie de cette
discipline. Le médecin qui s’occupait de la santé du futur Louis XIII a noté tous les faits et gestes du
jeune prince mais ici, il n’y a pas d’observation car observer, c’est sélectionner
et catégoriser (cfr. Taine, Darwin, Preyer)
-> une observation particulière est pertinente si elle illustre un type de
comportement. Cette méthode des chroniques n’a pas cessé d’être employée depuis
le 19ème, notamment par Piaget
qui a observé les activités sensori-motrices et sémiotiques de ses 3 enfants.
a)
Piaget, Wallon :
Piaget :
observation - intervention – méthode clinique -> 1920
· l’observation n’est plus un simple recueil
d’évènements tels qu’ils se présentent naturellement. Lors de l’observation de
ses enfants, il intervient pour orienter l’activité et placer l’enfant dans des
situations présentant un problème à résoudre (ex : chercher un objet que
l’on vient de cacher) ;
· il met au point sa méthode clinique
d’exploration critique à la même époque, en interrogeant des enfants plus
âgés ;
Wallon :
observation (1941)
· observe des enfants de différents âges dans
des situations d’entretiens ;
· explique, en 1941, dans « L’évolution psychologique de l’enfant »,
que toute observation est une catégorisation déterminée par les attentes de
l’observateur.
b)
Brazelton, Izard :
Dans les années 20 et 30, on catégorise des
comportements enfantins et on analyse l’évolution, selon l’âge, de la fréquence
de ces catégories. L’arrivée du magnétoscope a ensuite facilité les observations
des psychologues.
Brazelton
(1970)
Dans les années 1970, enregistre simultanément les
comportements du nourrisson et ceux de sa mère (ou d’un autre adulte) devant
interagir avec lui -> ces comportements sont codés, seconde après seconde,
et ce codage permet de suivre le déroulement de l’interaction et le degré
d’accord entre les protagonistes.
Izard (1979)
Ses travaux sur les émotions, en 1979, illustrent l’évolution
méthodologique : un codage très précis du changement de l’expression
faciale.
c)
Conclusion
Les observations se sont objectivées, précisées et
affinées et les procédures (Brazelton, Izard) :
· sont différentes des chroniques
descriptives du 19ème ;
· sont complétées par l’informatique qui
facilite le codage des enregistrements des comportements.
Cependant, ce que Wallon
écrivait sur l’observation reste d’actualité : l’utilisation d’un
magnétoscope ou d’une caméra reporte la réalisation de l’observation dont l’objectivité
et la pertinence ne sont pas garanties.
2.
QUESTIONNAIRES, MESURE ET ÉVALUATION D’UN NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT
a)
Hall (1844-1924) (USA)
· pionnier de la Ψ aux Etats-Unis et 1er
ouvrage de synthèse de l’adolescence (1904) ;
· a fait connaître la méthode des
questionnaires aux Etats-Unis (pas l’inventeur) et l’a utilisée pour obtenir
des informations statistiques et descriptives sur les connaissances des
enfants, comparant garçons et filles, citadins et ruraux, etc.
b)
Cette méthode des
questionnaires :
· fut utilisée pour obtenir des données comparatives et descriptives ->
au besoin, si l’enfant est trop jeune pour répondre, on interroge parents ou enseignants
;
· se spécifie pour devenir un instrument d’évaluation de variables individuelles
ou environnementales : styles éducatifs, difficultés comportementales,
traits de personnalité, estime de soi, etc. L’utilité des questionnaires en Ψ
du développement s’est liée aux approches corrélationnelles dégageant des liens
entre variables : réussite scolaire et estime de soi, styles éducatifs
dans les familles et difficultés comportementales des ados ;
· a donc suivi le progrès des techniques statistiques : analyse factorielle,
régression multiple, modèle d’adéquation structurale (SEM : Structural Equation Modeling). Ce
dernier dégage des relations entre des variables et identifie des dépendances
« en chaîne » entre plusieurs variables interprétées comme des
déterminations causales ;
· pose la question de l’évaluation et de la mesure : si le développement est un
progrès systématique des fonctions Ψ, on cherche à situer chaque enfant par
rapport au développement habituel des autres enfants et selon une progression
strictement ordonnée.
c)
Les échelles de développement
L’échelle de développement de l’intelligence (Binet et Simon)
en 1900 ;
· est créée pour repérer les enfants en
difficulté scolaire ;
· modèle sous-jacent à cette échelle est un
modèle ordinal : chaque âge chronologique est caractérisé par des items
réussis à partir de cet âge. Etre « en avance » ou « en
retard » => progresser plus ou moins vite sur une dimension de
développement. Il faut identifier des séquences, çad des successions
comportementales liées à l’âge ou à tout autre indice de changement
temporalisé ;
· il y a également l’échelle de Vineland (1935) qui mesure l’autonomie,
l’intégration sociale et l’intelligence sociale.
La méthode de l’analyse hiérarchique (échelles de Guttman) :
· est adaptée à la construction d’outils évaluatifs ;
· détermine dans quelle mesure l’ordination
de comportements ou celle de la réussite à différents items se retrouvent bien
à l’identique chez tous les enfants en développement ;
· est illustrée par l’Echelle individuelle de la pensée logique (EPI), fondée sur le
modèle piagétien classique par Longeot en
1969.
Ce type d’analyse se poursuit avec les modélisations Rasch (mathématicien) présentées comme une manière
de mesurer, sur une même dimension sous-jacente de développement, à la fois des
items et les performances individuelles à ces items, tout en repérant les
enfants ou les items qui se situent mal dans cette hiérarchie.
3.
EXPÉRIMENTATION ET COMPARAISONS
Expérimenter, c’est étudier les relations entre
variables mais dans des domaines contrôlés. Cette approche du développement
(hypothèses, plans d’expérience) est récente par rapport aux méthodes évoquées
(observations, questionnaires, échelles). La Ψ expérimentale a modifié, dans
les années 60-70, la conception de la Ψ des bébés en montrant des possibilités
de réaction à des différences de stimulation.
La Ψ piagétienne s’est intégrée à la Ψ expérimentale
puis aux approches strictement cognitives mais sans Piaget
lui-même. Dans les années 70, il a étudié les processus de développement (la généralisation, la dialectique,
etc.) avec la même méthode d’entretien qui lui avait permis de baliser le
développement conceptuel (la
logique, le nombre, les connaissances physiques, etc.), çad sans adopter une
méthode expérimentale.
La démarche expérimentale se retrouve dans les
approches comparatives, lesquelles, d’un point de vue méthodologique, consistent
à comparer des groupes réels. Il ne s’agit pas de
« quasi-expérimentation » car il est impossible d’isoler certaines
variables en contrôlant les autres : les groupes étant réels, ils se différencient
selon des variables indissociables.
Mais la réflexion expérimentale est possible ->
comparer des groupes d’âge relève déjà d’une quasi-expérimentation puisque ce
sont des groupes « naturels » et non « artificiels ».
D’autres comparaisons entre groupes naturels en Ψ du développement :
normal/pathologique, entre les groupes culturels…
La dimension culturelle de l’ontogenèse a également
été travaillée par les psychologues du DEV, en particulier par Erikson. Les comparaisons interculturelles dans
des situations expérimentales ont vraiment débuté dans les années 1960, sous
l’impulsion de Bruner et de Piaget, e.a.
4. MODÈLES
ET SIMULATIONS DU DÉVELOPPEMENT
Modéliser = utiliser des outils logiques ou mathématiques pour représenter un phénomène.
Le structuralisme de Piaget
est une modélisation structurale car il y a utilisation ou fabrication,
au besoin, des structures algébriques pour représenter de façon précise les
connaissances et contraintes inhérentes à l’activité cognitive et ce, aux
différents niveaux de développement. A ce titre, le structuralisme est bien une
méthode ou une ascèse (réflexion rigoureuse).
Un autre type de modélisation recherche quelle
équation mathématique (et dynamique par définition) peut décrire les changements
développementaux et leur variabilité interindividuelle. L’être en développement
est alors considéré comme un système complexe en perpétuelle transformation.
Une autre approche tente de reproduire artificiellement la forme des
changements développementaux -> des simulations connexionnistes du
développement sont proposées et consistent à s’appuyer sur un modèle du
fonctionnement neuronal pour simuler des acquisitions psychologiques, grâce aux
techniques actuelles de calcul informatique.
5. CONCLUSION
ET TRANSITION
La Ψ du DEV se définit en fonction des méthodes qui le
produisent. Le cadre théorique est nécessaire pour tirer des leçons des
informations acquises par les différentes méthodes. L’évolution de la Ψ
descriptive vers une Ψ expérimentale demande encore une réflexion théorique car
ce qui est expérimentalement « prouvé » reste toujours très limité.
Méthode longitudinale :
Cela consiste à suivre le
développement d'individus en temps réel, pendant un laps de temps déterminé.
Evaluation répétée du ou des même(s) enfant(s).
Le développement est suivi d'un moment T à un moment Tn, avec éventuellement plusieurs mesures évaluations intermédiaires. La durée du suivi peut varier de quelques semaines à plusieurs années, et le rythme des mesures intermédiaire est lui aussi variable.
Le développement est suivi d'un moment T à un moment Tn, avec éventuellement plusieurs mesures évaluations intermédiaires. La durée du suivi peut varier de quelques semaines à plusieurs années, et le rythme des mesures intermédiaire est lui aussi variable.
Méthode transversale :
L'approche transversale a la
particularité de consister à étudier, à un moment donné, en une seule fois,
plusieurs groupes d'âges donnés. L'approche transversale court-circuite le
temps réel. On n'attend pas le développement réel de l'enfant.
LES THÉORISATIONS DU DÉVELOPPEMENT : DÉPASSER LES ANCRAGES TRADITIONNELS
Lorsqu'il
s'agit d'interpréter les données factuelles ou de chercher à
rendre compte
des
changements ontogénétiques, les psychologues du développement ont
fait appel à
trois
grands types d'explication que l'on désignera ici par les termes de
préformisme,
associationnisme,
constructivisme. Curieusement, ces types d'explication ne se sont pas
historiquement
succédé sous la pression des évidences expérimentales, mais ils
ont plutôt
alterné
au cours du temps, sous des formes et des labels divers, ou bien
encore ils se
sont
affrontés dans des débats théoriques dont on commence seulement à
envisager le
dépassement.
L'ouvrage de Richardson (1998) expose très clairement ces
orientations
théoriques
et leurs origines historiques. Il inclut également une présentation
des théories
sociocognitives
et des tentatives actuelles de renouvellement et d'intégration
(connexionnisme,
systèmes
dynamiques).
1. Les trois positions traditionnelles et leurs origines historiques :
préformisme, associationnisme, constructivisme
Le
caractère le plus général de la position préformiste est de
considérer le développement
psychologique
comme prédéterminé. Si le développement se déroule dans le
temps
et sur plusieurs armées, les déterminants de cette évolution
existent en réalité dès
le
départ. Cette prédétermination peut s'entendre de deux manières.
On peut tout
d'abord
la concevoir comme une programmation de l'organisme. Dans ce cas, le
temps
du
développement, c'est celui de la maturation biologique. Par
conséquent, cette
conception
n'exclut pas le fait que des fonctions psychologiques nouvelles
puissent apparaître
tardivement, mais ces nouveautés sont le produit de transformations
préprogrammées,
ce
qui revient à dire que toute fonction nouvelle existe « en germe »
dès le
départ.
Une autre manière d'envisager la prédétermination est de postuler
que des
connaissances
sont effectives avant toute expérience et toute action dans
le milieu environnant,
et
qu'elles sont donc susceptibles de guider les acquisitions à venir.
Cette position
«
nativiste » a des origines philosophiques lointaines. On remonte
habituellement
jusqu'à
Platon qui tenait de son maître Socrate une réelle méfiance
vis-à-vis des informations
provenant
des organes sensoriels et qui considérait l'apprentissage comme une
démarche
de l'esprit (pas de l'expérience) qui doit prendre conscience de ce
qu'il sait
déjà
de façon latente.
À
la période moderne, l'explication du développement par la
maturation biologique
est
fréquente. On la trouve par exemple chez Gesell (Gesell et Ilg,
1946/1972,
p.
10), et aussi chez Wallon et Piaget où elle se mêle à d'autres
facteurs explicatifs. Plus
récemment,
certains cognitivistes expliquent le développement des compétences
chez
l'enfant
par le progrès endogène des capacités de la mémoire, ce progrès
permettant un
traitement
simultané d'un plus grand nombre d'éléments d'une situation (voir
le
chap.
2 et l'un des aspects des modèles « néo-piagétiens »).
Quant
aux théories nativistes, elles sont tout d'abord illustrées par les
psycholinguistes
qui
ont travaillé dans le prolongement ou à la suite des propositions
théoriques
du
linguiste Noam Chomsky. Mais elles se sont étendues à bien d'autres
domaines que
celui
du langage, en particulier le domaine des connaissances numériques
(Gelman et
Gallistel,
1978). Elles ont entraîné, à partir des années 1970, la
réalisation d'un très
grand
nombre d'études dont l'objectif était de montrer la précocité et,
par là même,
l'universalité
des connaissances chez les bébés et de valider ainsi la
prédétermination du
développement
(« Nous naissons avec un patrimoine déterminé et donc avec
l'aptitude
à
l'exprimer. Naître humain signifie naître pour atteindre un certain
état stable »,
Mehler
et Dupoux, 1990/1995, p. 249).
À
l'opposé du préformisme, l'associationnisme accorde un poids
déterminant à
l'expérience.
Selon ce point de vue, les connaissances sont issues des informations
perçues
et des liens qui s'établissent entre elles. L'origine de cette
conception
remonte
là aussi à l'Antiquité. C'est Aristote (élève de Platon) qui,
parmi de nombreuses
autres
avancées scientifiques, a proposé que des associations se créent
au travers
de
la régularité de l'expérience et qu'elles se maintiennent en
mémoire. Mais ce
sont
les empiristes anglo-saxons des xvne et xviir siècles (l'Anglais
John Locke,
1632-1704
; l'Écossais David Hume, 1711-1776) qui ont radicalisé cette
position en
faisant
des associations le fondement même de la pensée. L'image de la «
tabula
rasa
», attribuée à Locke, est dans toutes les mémoires : à la
naissance, l'esprit est
comme
une table de cire vierge sur laquelle s'inscrivent et se relient les
informations
perceptives.
Toutefois, « l'expérience » chez Locke a une double nature : elle
est
constituée
des sensations (perception du monde sensible) et de la réflexion
(perception
de
notre activité mentale interne). Le courant associationniste n'a pas
cessé jusqu'à
aujourd'hui
avec, au xixe siècle, John Stuart Mill (1806-1873) puis Williams
James
(1842-1910).
À
l'époque moderne, l'associationnisme est représenté sous des
formes très diverses
:
théories béhavioristes (le développement se fait par un
renforcement de liens entre
stimulations
et réponses et ce renforcement dépend des conséquences, favorables
ou
défavorables,
qui suivent les réponses), réseaux sémantiques (les concepts sont
des agrégats
de
propriétés qui se constituent en réseaux), etc. Même le
connexionnisme peut
être
considéré comme une forme actuelle d'associationnisme. Mais alors,
comme le souligne
Richardson
(1998), il s'agit d'un « néo-associationnisme » qui s'est éloigné
de
l'empirisme
en acceptant l'idée de processus cognitifs innés ou, tout au moins,
en
posant
l'existence d'une architecture neuronale de départ (Elman et al.,
1996).
Le
constructivisme constitue le troisième pôle théorique de la
psychologie du développement.
Il
ne faut pas considérer cette orientation explicative comme un «
juste
milieu
» ou un « consensus mou » entre les deux premières. Il s'agit
d'une démarche
d'analyse
originale qui, elle aussi, a des racines anciennes. Le
constructivisme établit,
dans
sa caractéristique la plus générale (qui ne se limite pas aux
fonctions intellectuelles),
que
le développement psychologique résulte des reactions de
l'organisme aux sollicitations
de
l'environnement. C'est encore chez Aristote que l'on en trouve les
prémices.
En
effet, non seulement Aristote propose le principe des associations,
mais il
valorise
aussi l'intelligence, la « raison » qui permet de tirer les leçons
de l'expérience.
Bien
plus tard, Emmanuel Kant (1724-1804) exprimera des idées analogues :
« Que
notre
connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun
doute. (...) Mais
si
toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve
pas qu'elle dérive
toute
de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre
connaissance par expérience
fût
un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de
ce que
notre
propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions
sensibles)
produit
de lui-même » (1781 / 1961, p. 38). Le constructivisme a également
ses racines
dans
le concept d'épigenèse, utilisé en embryologie pour caractériser
la construction de
formes
physiologiques nouvelles au cours de l'ontogenèse.
Mais
c'est incontestablement James-Mark Baldwin (1861-1934) qui a forgé
les
concepts
du constructivisme moderne. Dans le chapitre 2 de son ouvrage de
1985,
Case
nous montre à quel point Baldwin anticipe Piaget sur le plan des
concepts, de la
terminologie
employée et même des situations d'observation (par exemple, Baldwin
a
observé
l'un de ses enfants, bébé, retrouvant un trousseau de clés
dissimulé sous une
couverture...).
Clairement, avec Baldwin, l'enfant construit ses connaissances, dès
le
niveau
sensori-moteur, par le jeu de l'assimilation (qui active des schèmes
d'action) et
de
l'accommodation (qui recherche des schèmes ou les coordonne lorsque
l'assimilation
a
échoué). Ainsi, la position de Kant se trouve modifiée, car les
outils de connaissance
(«
l'entendement » et la « raison » chez Kant) doivent eux-mêmes
être construits. C'est
également
l'une des thèses principales de Piaget.
Les
conceptions de Piaget (voir le chap. 2) ont profondément influencé
la psychologie
du
développement au point d'en constituer pendant longtemps la théorie
dominante
et
de promouvoir du même coup le constructivisme au rang de référence
obligée
(Bideaud,
1999). Piaget s'intéressait essentiellement aux adaptations actives
des organismes
à
leur milieu. Étudier la construction des connaissances chez l'enfant
était pour lui
une
manière de cerner ces adaptations actives puisque l'intelligence a
pour fonction
d'élaborer
des solutions rationnelles aux problèmes qui se posent dans la vie
quotidienne.
C'est ainsi qu'est née 1' «épistémologie génétique»
(terminologie déjà présente chez
Baldwin,
selon Case, 1985) : étude du développement des connaissances
objectives. À
l'époque
de Piaget, on parlait volontiers de « psychologie génétique », le
terme de
«
génétique » étant entendu au sens de « genèse ». Mais chez
Piaget la psychologie
génétique
est aussi, selon son propre vocabulaire, une « méthode génétique
», car elle permet
de
mieux connaître les fonctions psychologiques par le biais de leur
construction
chez
l'enfant. Le coffret de deux CD «Jean Piaget. Cheminement dans
l'oeuvre scientifique
»
(distribué par Delachaux et Niestlé) constitue une mine
d'informations historiques
sur
Piaget.
2. Le débat constructivisme/nativisme/évolutionnisme
C'est
délibérément que les trois principales orientations explicatives —
préformisme,
associationnisme,
constructivisme — ont été présentées séparément dans le
paragraphe
précédent.
Mais, comme on peut s'en douter, des interactions conflictuelles ont
existé
entre ces trois options théoriques. Ainsi, le constructivisme
piagétien, tout comme
le
cognitivisme au sens strict, s'est en partie constitué contre le
béhaviorisme qui est une
forme
d'associationnisme. De même, c'est essentiellement contre le
constructivisme piagétien
que
le nativisme moderne a émergé dans les années 1960 et 1970.
La
controverse opposant Mehler et Bever (1967, 1968) à Piaget (1968)
est une
bonne
illustration de ce moment historique où débutent les discussions
entre nativistes
et
constructivistes. En s'inspirant de la tâche classique de
conservation du nombre
(voir
le chap. 2) Mehler et Bever ont montré que les enfants de 2 à 4 ans
peuvent
déjà
choisir la collection de bonbons la plus nombreuse (6 bonbons contre
4 dans
l'autre
collection) sans tenir compte de la disposition spatiale. À
l'époque, ce résultat
paraissait
contredire les thèses piagétiennes Mais dans sa critique présentée
l'année
suivante,
Piaget (qui entre-temps a refait des observations dans des situations
analogues)
ne
manque pas de souligner la labilité des réponses des jeunes
enfants. Surtout,
il
dénie la qualité de « conservation » aux épreuves de Mehler et
Bever, et considère
comme
non pertinente l'invocation de structures innées pour expliquer la
précocité
des
« réussites ». En réponse, Mehler et Bever expriment leur accord
sur l'inadéquation
du
terme de « conservation » et, dans leur conclusion, ils affinent
leur position
théorique
d'une manière tout à fait instructive pour la suite de l'Histoire.
En
effet,
en déclarant : « Nous n'avons jamais eu l'intention d'argumenter
exclusivement
en
faveur d'une structure innée par opposition à des processus innés
susceptibles de
dégager
une structure à partir de l'expérience » (NB les
soulignements sont des
auteurs),
ils pointent effectivement le coeur du débat jusqu'à aujourd'hui :
peut-on parler
de
connaissances innées ou de mécanismes innés
permettant de construire des connaissances
?
Et pour finir, ils précisent que leur objectif est de chercher à
mieux connaître
les
stratégies et les intuitions des très jeunes enfants, c'est-à-dire
le point de départ du
développement
cognitif et ils annoncent ainsi l'un des thèmes majeurs des
recherches
qui
vont suivre.
En
effet, à partir des années 1960 et 1970, le recours à des
hypothèses nativistes,
bien
illustré dans le débat historique entre Piaget et Chomsky (voir
l'encadré 1.3), a de
beaucoup
contribué au succès de deux grandes orientations de recherche.
Selon la première
orientation,
comme dans Mehler et Bever (1967), il s'agit de simplifier les tâches
piagétiennes
de manière à en montrer la résolution possible par des enfants
plus jeunes
que
ceux observés par Piaget, ce qui souligne alors la précocité des
compétences cognitives
et
va dans le sens du nativisme. Une orientation complémentaire a
suscité
l'invention
de nouvelles procédures permettant d'évaluer des connaissances et
compétences
cognitives
chez les bébés. De ce fait, pendant quelques décennies, ce fut une
sorte
de course à la mise en évidence expérimentale de la plus extrême
précocité
possible.
Mais
la position constructiviste ne s'en est pas trouvée déstabilisée
pour autant. En
effet,
la précocité d'une compétence n'implique pas obligatoirement que
cette compétence
n'aurait
pas été construite. Et surtout, la simplification des procédures
et
l'invention
de nouveaux paradigmes expérimentaux changent complètement la
nature
de
ce qui est évalué et ne remettent donc pas en cause les bornes
développementales
identifiées
antérieurement. Ainsi, paradoxalement, les recherches motivées par
des
préoccupations
nativistes ont abouti dialectiquement à une meilleure connaissance
non
seulement
des états initiaux du développement (ce que souhaitaient Mehler et
Bever)
mais
aussi du deroulement de la construction des connaissances
depuis l'état initial jusqu'aux
niveaux
balisés par Piaget. C'est bien ce qui semble se passer actuellement
à
propos
du nombre. Les synthèses actuelles en ce domaine (Mix, Huttenlocher
et
Levine,
2002 ; Bideaud, 2002 ; Bideaud, Lehalle et Vilette, 2004) invitent
plutôt à
considérer
que si les bébés réagissent à des différences de numérosité
c'est en tenant
compte
d'indices perceptifs qui covarient avec la numérosité (étendue,
densité, etc.), et
non
pas en ayant abstrait la numérosité pour elle-même.
Par
ailleurs, il est habituel de souligner que les interprétations
nativistes ne font
que
repousser à l'échelle phylogénétique l'explication des nouveautés
structurales. Il est
donc
tout à fait compréhensible que, dans les années 1980, une nouvelle
« psychologie
évolutionniste
» se soit constituée en renouant ainsi avec les préoccupations
théoriques
du
)(lx' siècle. Cette psychologie évolutionniste se différencie en
deux aspects. Le premier
consiste
à appliquer à l'ontogenèse les principes darwiniens que l'on
invoque habituellement
pour
rendre compte de l'évolution des espèces ; selon ce point de vue,
le
développement
peut se concevoir comme une sélection adaptative à partir d'une
pluralité
de
fonctionnements préalables (Siegler, 1984). Le second aspect est une
conséquence
du
nativisme. Il consiste à supposer que des modes de fonctionnement
ont été
constitués
à l'échelle phylogénétique selon des processus darwiniens et
qu'ils se retrouvent
préformés
à l'échelle ontogénétique où ils se manifestent directement,
sans apprentissage,
comme
des modules de traitements spécifiques au domaine fonctionnel
considéré
(Sperber,
2002). Mais, comme l'a fait remarquer Gottlieb (2002), en citant à
ce
propos
Mivart (1871), la sélection phylogénétique n'opère pas
directement sur des gènes
mais
sur des gènes exprimés dans un environnement (phénotype).
Autrement dit, les
comportements
utiles à l'espèce préexistent obligatoirement à leur sélection
naturelle, et
par
conséquent le développement phénotypique de compétences (la
variabilité) est un
préalable
nécessaire pour que la sélection puisse opérer.
En
résumé, le nativisme moderne s'est constitué contre le
constructivisme, tout
particulièrement
celui de Piaget, mais il conduit obligatoirement à une psychologie
évolutionniste
qui
en définitive ne peut ignorer le développement, ce qui nous ramène
au
constructivisme.
Cette circularité de l'explication invite à rechercher de nouveaux
modèles
explicatifs de l'ontogenèse : a) en retenant du nativisme la
nécessité de mieux
connaître
les états initiaux et de les décrire en positif et non pas comme
des manques
par
rapport aux fonctionnements ultérieurs, b) en gardant du
constructivisme l'idée de
transformations
produisant à plus ou moins long terme des connaissances et des
outils
de
connaissance nouveaux, e) en reprenant de la psychologie
évolutionniste l'évidence
de
mécanismes d'acquisition caractéristiques de l'espèce.
3. L'evolution des concepts : exemple de la notion de stade
Le
concept de stade est l'un des plus caractéristiques des approches
théoriques du développement.
Pendant
longtemps, chez Luquet (1927) par exemple, les descriptions en stades
de
développement n'avaient pas directement de visée explicative.
C'était une manière de
souligner
les changements qualitatifs qui se manifestent au cours de
l'ontogenèse et de rassembler
sous
la forme de caractéristiques générales les propriétés communes
de comportements
observés
à un moment du développement. Cependant, déjà chez Baldwin (Case,
1985),
les « stades » (que Baldwin désigne par le terme « d'époques »
/ ≪ epochs ≫) sont
conçus
comme une séquence universelle de transformations nécessaires.
Mais
avec Wallon et Piaget, l'analyse des relations entre stades
successifs devient
plus
explicite et, de ce fait, les systèmes de stades progressent dans la
direction d'une
recherche
d'explication : préciser les relations entre stades successifs
devient une
manière
d'approcher le processus même du développement. Dans son Histoire
de la psychologie,
Reuchlin
(1957/1961) ne manque pas de relever les différences qui
apparaissent
entre
la conception de Wallon et celle de Piaget. Chez Piaget, le processus
de développement
est
progressif et continu mais il aboutit cependant à des constructions
cognitives
qualitativement
nouvelles qui intègrent les précédentes. Chez Wallon, les
changements
se
manifestent par des crises, des conflits, des discontinuités, et par
exemple la « loi
d'alternance
fonctionnelle » stipule que le passage d'un stade à un autre se
traduit par
un
changement d'orientation, avec une « alternance » entre la
centration sur la construction
personnelle
interne et intime, et la centration sur les échanges avec le monde
extérieur.
Quelques années après Reuchlin, Tran-Thong (1967/1971) s'est
attaché,
dans
un volumineux ouvrage, à la comparaison systématique de quatre
systèmes de stades
:
ceux de Wallon et de Gesell (qu'il considère comme relevant d'une
approche
«
concrète et multidimensionnelle » p. 416), et ceux de Freud et de
Piaget (dont les
approches
seraient « abstraites et unidimensionnelles »).
À
vrai dire, si les psychologues du développement ont multiplié les
descriptions en
stades,
chacun n'hésitant pas à proposer son propre système, sous la forme
de stades
généraux
ou à propos de domaines fonctionnels spécifiques, ils ont beaucoup
plus rarement
réfléchi
à la notion même de stade et rarement confronté leur point de vue
sur ce
concept.
Le symposium de 1955 à Genève fait figure d'exception (voir
l'encadré 1.4).
L'idée
habituelle que l'on se fait de la notion de stade est celle d'une
généralisation
quasi
automatique du fonctionnement caractéristique d'un stade, à toutes
les situations
relevant
du même domaine fonctionnel. Un enfant serait «dans» un
stade et, de ce fait,
il
« devrait » toujours se comporter selon les critères
relatifs à ce stade. Faute de quoi, la
théorie
considérée serait à revoir. Dans un contexte piagétien, on parle
de « décalage
horizontal
» pour désigner l'absence de synchronie dans l'accès à un stade
selon les
domaines
fonctionnels, et cette absence de synchronie est souvent jugée comme
une
invalidation
du modèle piagétien. Mais il faut rappeler que c'est Piaget
lui-même qui a
proposé
et défini la notion de décalage horizontal dès 1941, et parmi les
critères de la
notion
de stade qu'il a exposés au symposium de 1955, il distingue pour
chaque stade
une
période de préparation et une période d'achèvement
(généralisation). Il est donc
normal
qu'un enfant ne fonctionne pas toujours au même stade. Il est normal
également
qu'un
niveau d'achèvement dans un domaine fonctionnel ne s'observe pas
nécessairement
chez
tous les adultes, bien que ce niveau puisse constituer
l'aboutissement
nécessaire
du développement pourvu que celui-ci ait l'occasion de se poursuivre
dans le
domaine
considéré.
Ainsi,
contrairement à l'opinion commune, les spécialistes du
développement
coordonnent
désormais la notion de stade avec celle de variabilité intra- et
interindividuelle.
C'est
très clair dans la modélisation de Walker et Taylor (1991) à
propos des
stades
du jugement moral (d'après Kohlberg, 1969). Selon ces conceptions,
les réponses
d'un
enfant donné, à un moment donné de son développement, se
distribuent
entre
plusieurs stades, mais pas n'importe comment : il y a un stade
modal (le plus fréquent),
mais
quelques réponses sont d6à au-dessus de ce stade modal et
quelques
réponses
sont encore au-dessous ; le développement se traduit alors
par un « glissement
»
de cette distribution des réponses en suivant la séquence de
stades. Plus généralement,
l'introduction
d'une approche différentielle en psychologie du développement
est
très largement une contribution française ou « franco-suisse ».
Cette « French
connection»
postpiagétienne a fait l'objet d'une série de commentaires dans
Child Development,
à
la suite d'un article de Larivée, Normandeau et Parent (2000) où se
trouvent
présentés
les travaux de J. Bideaud, J. Lautrey, F. Longeot, M. Reuchlin, A. de
Ribaupierre,
L. Rieben.
Parallèlement
à cette prise en compte des variabilités, de nouvelles descriptions
du
développement
n'ont pas cessé d'être proposées. Ainsi, le groupe des «
néo-piagétiens »
(Demetriou,
1988 ; et le chap. 2) a beaucoup fait évoluer notre représentation
du développement
cognitif
: nouvelles descriptions en stades (avec, dans certains systèmes, la
réitération
de la même succession de « sous-stades » à tous les « grands »
stades distingués),
tout
en intégrant la variabilité, surtout chez Fischer.
En
définitive, les systèmes de stades actuels traduisent toujours les
contraintes de
l'ontogenèse.
L'idée de succession nécessaire est maintenue. Mais puisque les
changements
développementaux
apparaissent désormais comme dépendant des contextes ou
même
comme véritablement construits dans chaque contexte, la succession
nécessaire
exprimée
par un système de stades s'accorde avec le constat des variabilités
individuelles.
4. Les incertitudes et ouvertures actuelles
Les
analyses actuelles du développement ne se réfèrent plus à une
théorie dominante
comme
cela pouvait sembler être le cas dans les années 1960 avec la
psychologie
piagétienne.
Nous assistons plutôt à l'émergence de directions nouvelles de
modélisation
qui
intègrent les descriptions en stades et sont compatibles avec le
renouvellement de
l'intérêt
pour les déterminants sociaux du développement (voir le chap. 2).
Le
premier type de modélisation utilise les concepts et la méthodologie
du
connexionnisme.
Comme illustré par Elman et al. (1996) l'idée est de
construire des
réseaux
de neurones « formels » dont le fonctionnement est susceptible de
simuler les
acquisitions
réelles. Cela revient à calculer informatiquement, selon des règles
plausibles
d'un
point de vue neuronal, l'évolution des liens entre des «
situations-problème » et les
«
réponses » du réseau. L'intérêt théorique de ces simulations
est de montrer que des
changements
développementaux complexes peuvent se produire à partir
d'interactions
entre
éléments relativement simples et sans avoir besoin de postuler des
connaissances
préalables.
Les
simulations connexionnistes produisent des évolutions « non
linéaires », avec
des
périodes d'accroissement rapide et des périodes de stabilisation.
Plus généralement,
les
modèles dynamiques non linéaires (Newell et Molenaar, 1998)
consistent à rechercher
des
équations mathématiques susceptibles de décrire la forme (non
linéaire) des
évolutions
psychologiques à plus ou moins long terme (l'adjectif « dynamique »
signifie
simplement
« au cours du temps »). Dans ce cas, les « stades » peuvent être
considérés
comme
des « attracteurs », c'est-à-dire des équilibres provisoires, ce
qui prolonge la
conception
piagétienne. A priori toutes les descriptions
développementales sont susceptibles
d'une
modélisation dynamique et par exemple Van Geert (1994) a proposé
une
reformulation
dynamique des conceptions de Vygotski. Par ailleurs, ces
modélisations
intègrent
la variabilité puisque des changements de paramètres dans une même
équation
dynamique
sont susceptibles de produire des évolutions très différentes, pas
toujours
majorantes
mais où le futur dépend toujours du passé.
Connexionnisme
et modélisations dynamiques conduisent à penser le développement
en
termes d'auto-organisation. Cette approche est susceptible de
constituer un
nouveau
paradigme dominant intégratif (Lewis, 2000). Cependant, à un niveau
d'approche
plus directement significatif, les modélisations structurales
gardent tout leur
intérêt,
ne serait-ce que pour « baliser le développement » en vue d'une
modélisation
dynamique
qui relierait les moments repérés. Actuellement, les modèles
structuraux
visent
à décrire des organisations cognitives en coordonnant le niveau
fonctionnel
(i.e.,
en situation) et le niveau conceptuel, et cela aux différents
moments du développement
(voir
par exemple Rittle-Johnson et Siegler, 1998, à propos des activités
numériques).
5. Conclusion et transition
En
résumé, l'histoire des théorisations du développement nous invite
à dépasser les
ancrages
traditionnels comme celui qui oppose « nativisme » et «
constructivisme ».
Certes,
ces deux conceptions sont a priori incompatibles et il
convient de bien repérer de
telles
incompatibilités explicatives.
Mais,
au-delà de ces oppositions historiques, l'évolution des conceptions
théoriques
en
psychologie du développement aboutit à différencier des types
d'interrogations développementales
pour
en montrer la complémentarité. En définitive, théoriser le
développement,
c'est
coordonner trois types d'interrogation (Lehalle et Mellier,
2002/2005) :
une
interrogation sur le processus du développement (son
déroulement en micro- et en
macrogenèse),
une interrogation sur les mécanismes qui produisent les
changements
(mécanismes
innés et « neuronaux », mais sans postuler pour autant des
connaissances
innées),
une interrogation sur les déterminants du développement, les
déterminants
sociaux
en particulier, qui sollicitent les mécanismes et produisent le
déroulement développemental
tout
en le différenciant.
Toutefois,
les débats théoriques, méthodologiques et conceptuels en
psychologie du
développement
ne suffisent pas à en expliquer l'histoire, et il nous faut pour
finir suggérer
l'impact
des déterminants sociaux.
LIRE LE PREMIER TEXTE DU POLYCOPIE N°1 (Bourdais) :
Questions sur ce texte "Les racines de la psychologie de l'enfant, de S. Netchine", T3, Paris, Dunod, 1993 :
1) Transitions sociales qui permettent la découverte du développement de l'enfant et la psychologie de l'enfant ?
2) Transition scientifiques qui permettent l'évolution de la psychologie de l'enfant ?
3) Comment évolue la psychologie de l'enfant ?
Prendre des notes sur documentaire au sujet de l'histoire de Freud.
BONJOUR JE VOUDRAIS FAIRE PARTIR DE VOTRE LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT
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