mardi 13 novembre 2012

Histoire de la psychologie du développement

LA CONSTRUCTION DE L’OBJET D’ÉTUDE : DES PRÉOCCUPATIONS ÉDUCATIVES À L’IDÉE D’UNE ONTOGENÈSE PSYCHOLOGIQUE

1. L’ENFANCE ET L’IDÉE D’ENFANCE DANS L’ANTIQUITÉ

Les analyses d’Ariès (1973) façonnent notre représentation historique de l’enfance : sa thèse => la croyance en des particularités enfantines différentes de l’adulte est apparue tard, à l’époque moderne (16ème et 17ème s.).

Dans l’Antiquité (monde grec et latin) l’enfant, dès sa naissance = membre de la cité et sujet du pouvoir politique -> les pratiques éducatives sont essentielles car il faut former l’enfant selon les valeurs et aspirations du groupe :
·       jusqu’à 7 ans, il est infant (« celui qui ne parle pas ») car si la parole n’est pas encore « signifiante », ce n’est pas vraiment « parler » ;
·       après 7 ans, l’enfant est appelé puer ;
·       à 17 ans, fin de l’enfance par l’entrée dans la classe des iuniores : ceux que l’on peut mobiliser militairement. Cet âge fut défini pour éviter d’envoyer à la guerre de trop jeunes gens.

Sur un plan juridique, le petit romain est placé sous l’autorité paternelle qui médiatise la loi de l’Etat et cela commence dès la naissance car le père doit reconnaître l’enfant en le relevant de terre et signifier ainsi une prise en charge éducative (mais pouvait aussi l’abandonner). L’importance de l’enfance et de l’éducation est reconnue. Paradoxe : Platon pense qu’il faut chasser de la cité tous les individus âgés de plus de 10 ans si l’on veut créer une République vraiment nouvelle.
Mais les discours sur l’enfance sont rares, centrés sur des questions de physiologie (Aristote) ou de pédiatrie (Hippocrate) et pas de traces historiques d’une réflexion Ψ sur l’enfance.

Des marginaux anticipent les évolutions futures -> Quintilien déplore le recours aux châtiments corporels et a l’idée d’une nature spécifique à l’enfance. Il recommande aux parents et aux enseignants d’en noter les caractéristiques (promptitude intellectuelle, vivacité de la mémoire, capacité à imiter) et de les utiliser.

2. LES DISCOURS SUR L’ENFANCE LIÉS AUX DISCOURS SUR L’ÉDUCATION À PARTIR DU MOYEN-ÂGE

A l’instar de Quintilien, les discours sur l’enfance sont motivés par des préoccupations éducatives. Ils restent rares au Moyen-Age mais se généraliseront à la Renaissance.

Au Moyen-Age :
·       La représentation de l’enfance est marquée par la culture chrétienne : l’enfant se situe, par nature, entre le bien et le mal. Socialement, l’éducation familiale est concernée par l’avenir professionnel et s’appuie sur l’école et l’atelier ;

·       L’éducation scolaire connaît une longue éclipse entre les dernières écoles constituées sur le modèle romain (fin du 5ème siècle) et les premières écoles religieuses vantées par Charlemagne et qui se développent au 9ème siècle ;

·       Il y a une grande variabilité dans la condition enfantine. A certaines époques ou dans certaines régions, les difficultés de la vie obligent à l’indifférence, voire à l’abandon d’enfants. Ils doivent travailler et de ce fait, dès 7 ans, sont considérés comme socialement « adultes » ;

·       A la fin du 14ème siècle, le travail chez les artisans (à partir de 7 ans pour les garçons et 6 pour les filles) est règlementé par un contrat obligeant le patron à fournir nourriture, vêtement et formation au métier.

La Renaissance :
·       le souci éducatif est au premier plan des représentations de l’enfance. Ainsi, Erasme propose des « colloques scolaires » : recueils de petites comédies dialoguées mettant en scène des enfants de façon vivante et réaliste. L’objectif de ces colloques est de manifester le beau langage et de fournir des modèles de comportements sociaux à adopter ou à ne pas imiter ;

·       Une formule d’Erasme (« On ne naît pas homme, on le devient ») relève déjà d’une approche développementale de l’enfant jusqu’à l’âge adulte. Mais, selon Erasme, elle manifeste la nécessité des interventions éducatives qui, seules, permettent à l’enfant de devenir « homme » ->  sans éducation, pas d’humanité…
Au 18ème siècle : Rousseau
·       les préoccupations éducatives visent :
*     à respecter les tendances naturelles car  l’enfant est plus proche de la nature que de l’adulte ;
*     à préserver les enfants des influences de la société adulte. Eduquer n’est pas sociabiliser mais laisser l’enfant s’exprimer selon sa nature et dans la nature.

·       Les travers : Rousseau se mobilise contre l’emmaillotement des nouveau-nés car la motricité des bébés doit s’exprimer librement alors que, sans référence directe au nouveau-né, il propose à se modeler sur les exigences de la nature (les endurcir face aux intempéries des saisons, des climats, des éléments, à la faim, la soif, la fatigue). Si le pédagogue doit respecter la nature enfantine, il doit mieux la connaître : Rousseau  présente donc une description des phases successives de l’enfance dans ses écrits ;

·       Les préoccupations éducatives chez les psychologues du développement se poursuivront avec Claparède (20ème), Wallon  ou Piaget (21ème). Désormais, l’objet de la Ψ du développement se distingue de l’objet de la pédagogie.

3. LA CENTRATION SUR L’ENFANT EN DÉVELOPPEMENT

À partir de 1850, le développement Ψ comme objet spécifique de l’investigation scientifique se développe grâce à deux ouvrages : celui de Canguilhem, Lapassade, Piquemal et Ulmann (1962/2003) et d’Ottavi (2001), s’appuyant fortement sur le premier.

Les chercheurs du 19ème s’interrogent sur la nature des changements à trois niveaux :
·       l’évolution des espèces : la phylogenèse ;
·       l’évolution des sociétés : la sociogenèse, (terme aussi employé pour désigner le caractère social de l’ontogenèse : théories socioculturelles) ;
·       l’évolution de l’individu : l’ontogenèse (terme d’abord limité au développement de l’embryon).

Les relations entre phylogenèse et ontogenèse : Ottavi (2001) rappelle que des auteurs ont inventé la loi de « récapitulation » (Haeckel). Cette loi, d’abord formulée à propos de l’embryon, stipule qu’au cours de son développement, l’individu (ontogenèse) reproduirait, sur une courte période, la succession des formes d’évolution de son espèce (phylogenèse) (ainsi un organisme parcourait tous les stades de l'évolution de l'humanité dans son évolution biologique, du stade de l’œuf à celui d’adulte).

Sociogenèse : la hiérarchie entre les « races » est une évidence indiscutable -> l’enfant en développement est assimilé au « primitif », considéré comme « moins développé ». Spencer (1876) propose de situer les groupes sociaux sur une échelle d’évolution et cette idée fera long feu. Actuellement, la sociogenèse désigne les transformations culturelles inhérentes à toute société mais sans hiérarchisation évaluative. Le concept d’ontogenèse suivra une évolution analogue.
Au 19ème siècle, les comparaisons s’insèrent dans des débats théoriques sous 3 aspects :

·       Le 1er débat : L’embryologie oppose, depuis la fin du 17ème, les préformationnistes aux théories épigénétiques du développement de l’embryon. Pour les préformationnistes, tout individu se trouve présent soit dans l’œuf (pour certains), soit dans le spermatozoïde (pour les autres) et ce « germe » n’a plus qu’à grandir. Pour les partisans d’une épigenèse, des formes nouvelles apparaissent au cours du développement de l’embryon. Au 19ème siècle, cette théorie l’emporte sur celle de la préformation ;

·       Le 2ème débat concerne celui des espèces, des sociétés et des individus au-delà de la période embryonnaire. La question est de savoir si les évolutions sont continues (dans ce cas, les changements sont quantitatifs) ou discontinues (on privilégie les différences de nature entre les moments successifs). Ainsi, pour Spencer, on doit distinguer la notion de développement, liée à des changements qualitatifs, à des modifications de structure, de celle de croissance correspondant aux changements quantitatifs. Le terme « évolution » recouvre alors, pour Spencer, les deux types de changements -> développement et croissance ;

·       Le 3ème débat concerne la solution proposée pour apprécier les changements de structures. Les auteurs se représentent le développement comme une différenciation : c’est la « loi de von Baer » (embryologiste allemand) qui postule que se développer, c’est passer de l’homogène à l’hétérogène, de l’indifférencié au différencié, du général au particulier (cf. Taine). Tous les niveaux de développement semblent illustrer cette loi générale.

Taine (1876) : « Observation scientifique du comportement d’un enfant ». La première partie est descriptive et relate le développement du langage chez sa fille. La deuxième partie pose des questions développementales qui sont théorisées et au sujet desquelles il cite le linguiste Müller : des comparaisons entre races douées et mal douées et d’autres considérations affligeantes. Les premières observations pertinentes sur le développement des enfants se trouvent ainsi mêlées à des considérations idéologiques malsaines.

Les premières observations d’enfants ont ainsi été menées afin de faire avancer la connaissance scientifique du développement. La 1ère observation scientifique d’un enfant date de 1787 par Tiedeman, philosophe allemand. Mais c’est l’article de Taine qui, en raison des interrogations théoriques de l’époque, a suscité l’intérêt de la communauté scientifique. Des publications analogues voient le jour, notamment celles de Darwin et de Preyer.


Darwin prend des notes sur les 3 premières années de la vie de son fils en 1839 mais ne les publie qu’en 1877, après avoir lu la traduction l’article de TainePreyer réalise des  observations du développement des 3 1ères années de son fils. Darwin => évolution des manières de s’exprimer chez l’enfant (expression émotionnelle et communication). Preyer => évolution des capacités humaines par une variété d’activités individuelles et volontaires.



4. L’ÉVOLUTION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT AU 20ème siècle


a)     1er aspect

->nécessité de différencier des dimensions du développement : au lieu de l’analyser en grandes périodes successives, on différencie les domaines fonctionnels assez homogènes.

En 1973, Wohlwill :
·       théorise cette évolution ;
·       définit des critères susceptibles de caractériser la « fonction développementale » comme une manière de relier des observables spécifiques à une variable temporalisée (l’âge chronologique) ;
·       énonce pour que la définir vraiment comme telle, il faut ajouter des conditions restrictives -> la possibilité de relier les moments de la genèse (ce qui se passe au temps t est bien dans le prolongement de ce qui s’est passé au temps t-1, t-2, etc.) ou l’existence d’une forme d’évolution commune à tous les individus au-delà des différences interindividuelles.

Cette préoccupation de définir des domaines d’évolution (motricité, langage, émotions, socialisation…) se retrouve dans les théorisations actuelles mais l’objet d’étude ne peut se limiter à l’évolution des capacités cognitives et de l’intelligence : tous les domaines du fonctionnement psychologique sont concernés dans une approche développementale.

b)     2ème  aspect

->ne plus se limiter à la période de l’enfance et de l’adolescence (années 60 et 70).

·       Erikson, en 1950, décrit le « cycle de la vie » comme une succession de crises développementales auxquelles l’individu doit faire face depuis la naissance jusqu’à la vieillesse ;
·       Huston-Stein et Baltes, en 1976, débattent des implications théoriques et méthodologiques de la perspective développementale sur la vie entière : elle manifeste la nécessité de distinguer les changements développementaux (ontogenèse) des différences observées entre des groupes d’âge mais pour des raisons liées à des changements historiques -> des personnes d’âges différents n’ont pas forcément eu les mêmes expériences ni les mêmes formes de socialisation.

c)      3ème  aspect

L’objet des études développementales s’étend en suivant les niveaux d’âge (englobant l’âge adulte et la vieillesse) et en interaction avec d’autres domaines de la psychologie. En 1984, un article évoque la psychopathologie développementale et retrace l’émergence de ce domaine d’étude dans les années 1970, avec des références à Freud, puisque l’un des principes de la théorie psychanalytique est que le vécu des évènements passés détermine le futur.
Dans les années 1970-1980, l’idée est que l’étude des enfants en difficulté et celle des enfants normaux peuvent s’enrichir mutuellement. Ce qui est nouveau, par contre, c’est de considérer la dimension développementale des évolutions pathologiques et des interventions thérapeutiques.
La pathologie :
·       est un processus et en tant que processus, l’évolution pathologique se déroule dans le temps et dois être comprise dans une perspective temporelle ;
·       peut être envisagée comme une perturbation, distorsion ou dégénérescence du fonctionnement normal ;
·       nécessite, pour être mieux comprise, de comprendre le fonctionnement normal qui sert de référence pour définir la pathologie.

Plus récemment, Karmiloff-Smith, en 1998, affirme que « le développement lui-même est la clé pour comprendre les troubles du développement » et invite à la création d’une neuropsychologie développementale puisque les modèles neuropsychologiques adultes sont insuffisants pour expliquer les données cliniques et expérimentales des jeunes enfants -> l’objet de la psychologie du développement s’étend à la fois vers la psychopathologie et vers la neuropsychologie.

d)     4ème  aspect

A la fin du 20ème siècle, sous l’influence des modélisations dynamiques non linéaires, il y  a une modification du concept même de développement. Les changements développementaux menant à des évolutions majorantes (çad toujours dans la direction d’un progrès) au 19ème siècle, évoluent à présent dans des directions multiples et différentes selon les domaines d’exercice.

Etudier le développement psychologique revient donc à étudier toutes les formes d’évolution individuelle, à court terme (microgenèse) ou à long terme (macrogenèse), çad toutes les manières de réagir à des environnements potentiellement divers. Si des développements apparaissent semblables, c’est que les individus ont réagi de la même manière à des environnements analogues. Si des développements sont différents dans des environnements différents ou en raison de conditions initiales différentes, il s’agit toujours d’ontogenèse. La distinction proposée par Hutson-Stein et Bates ne se justifie donc plus.

5. CONCLUSION ET TRANSITION

Il y a eu une présentation des changements historiques, les débats théoriques mais peu d’évocation de la question des méthodes d’étude sauf pour désigner un domaine d’investigation : l’individu en développement (ontogenèse). D’un point de vue épistémologique, l’objet scientifique est ce qui informe le scientifique. Aussi, il n’y a pas d’objet sans méthode. Faire l’histoire de la psychologie du développement, c’est donc aussi s’intéresser à l’évolution des méthodes utilisées. 
 

L’ÉVOLUTION DES MÉTHODES : DES CHRONIQUES DISCURSIVES AUX TECHNIQUES PRODUCTRICES DE PHÉNOMÈNES


1. OBSERVATION ET CATÉGORISATION DES COMPORTEMENTS

Les 1ères observations d’enfants au 19ème siècle sont des chroniques discursives ->  noter tous les jours les comportements de l’enfant observé mais comme c’est impossible, l’observateur retient ce qui répond à ses questions : acquisition du langage chez Taine, expression des émotions chez Darwin, dynamisme de l’activité chez Preyer.

C’est pourquoi la toute 1ère observation d’un enfant, au début du 17ème, ne fait pas partie de cette discipline. Le médecin qui s’occupait de la santé du futur Louis XIII a noté tous les faits et gestes du jeune prince mais ici, il n’y a pas d’observation car observer, c’est sélectionner et catégoriser (cfr. Taine, Darwin, Preyer) -> une observation particulière est pertinente si elle illustre un type de comportement. Cette méthode des chroniques n’a pas cessé d’être employée depuis le 19ème, notamment par Piaget qui a observé les activités sensori-motrices et sémiotiques de ses 3 enfants.

a)     Piaget, Wallon :
Piaget : observation - intervention – méthode clinique -> 1920
·       l’observation n’est plus un simple recueil d’évènements tels qu’ils se présentent naturellement. Lors de l’observation de ses enfants, il intervient pour orienter l’activité et placer l’enfant dans des situations présentant un problème à résoudre (ex : chercher un objet que l’on vient de cacher) ;
·       il met au point sa méthode clinique d’exploration critique à la même époque, en interrogeant des enfants plus âgés ;

Wallon : observation (1941)
·       observe des enfants de différents âges dans des situations d’entretiens ;
·       explique, en 1941, dans « L’évolution psychologique de l’enfant », que toute observation est une catégorisation déterminée par les attentes de l’observateur.

b)     Brazelton, Izard :
Dans les années 20 et 30, on catégorise des comportements enfantins et on analyse l’évolution, selon l’âge, de la fréquence de ces catégories. L’arrivée du magnétoscope a ensuite facilité les observations des psychologues.
Brazelton (1970)
Dans les années 1970, enregistre simultanément les comportements du nourrisson et ceux de sa mère (ou d’un autre adulte) devant interagir avec lui -> ces comportements sont codés, seconde après seconde, et ce codage permet de suivre le déroulement de l’interaction et le degré d’accord entre les protagonistes.
Izard (1979)
Ses travaux sur les émotions, en 1979, illustrent l’évolution méthodologique : un codage très précis du changement de l’expression faciale.

c)      Conclusion
Les observations se sont objectivées, précisées et affinées et les procédures (Brazelton, Izard) :
·       sont différentes des chroniques descriptives du 19ème ;
·       sont complétées par l’informatique qui facilite le codage des enregistrements des comportements.
Cependant, ce que Wallon écrivait sur l’observation reste d’actualité : l’utilisation d’un magnétoscope ou d’une caméra reporte la réalisation de l’observation dont l’objectivité et la pertinence ne sont pas garanties.

2. QUESTIONNAIRES, MESURE ET ÉVALUATION D’UN NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT

a)     Hall (1844-1924) (USA)
·       pionnier de la Ψ aux Etats-Unis et 1er ouvrage de synthèse de l’adolescence (1904) ;
·       a fait connaître la méthode des questionnaires aux Etats-Unis (pas l’inventeur) et l’a utilisée pour obtenir des informations statistiques et descriptives sur les connaissances des enfants, comparant garçons et filles, citadins et ruraux, etc.

b)     Cette méthode des questionnaires :
·       fut utilisée pour obtenir des données comparatives et descriptives -> au besoin, si l’enfant est trop jeune pour répondre, on interroge parents ou enseignants ;

·       se spécifie pour devenir un instrument d’évaluation de variables individuelles ou environnementales : styles éducatifs, difficultés comportementales, traits de personnalité, estime de soi, etc. L’utilité des questionnaires en Ψ du développement s’est liée aux approches corrélationnelles dégageant des liens entre variables : réussite scolaire et estime de soi, styles éducatifs dans les familles et difficultés comportementales des ados ;

·       a donc suivi le progrès des techniques statistiques : analyse factorielle, régression multiple, modèle d’adéquation structurale (SEM : Structural Equation Modeling). Ce dernier dégage des relations entre des variables et identifie des dépendances « en chaîne » entre plusieurs variables interprétées comme des déterminations causales ;

·       pose la question de l’évaluation et de la mesure : si le développement est un progrès systématique des fonctions Ψ, on cherche à situer chaque enfant par rapport au développement habituel des autres enfants et selon une progression strictement ordonnée.
c)      Les échelles de développement

L’échelle de développement de l’intelligence (Binet et Simon) en 1900 ;
·       est créée pour repérer les enfants en difficulté scolaire ;
·       modèle sous-jacent à cette échelle est un modèle ordinal : chaque âge chronologique est caractérisé par des items réussis à partir de cet âge. Etre « en avance » ou « en retard » => progresser plus ou moins vite sur une dimension de développement. Il faut identifier des séquences, çad des successions comportementales liées à l’âge ou à tout autre indice de changement temporalisé ;
·       il y a également l’échelle de Vineland (1935) qui mesure l’autonomie, l’intégration sociale et l’intelligence sociale.

La méthode de l’analyse hiérarchique (échelles de Guttman) :
·       est adaptée à  la construction d’outils évaluatifs ;
·       détermine dans quelle mesure l’ordination de comportements ou celle de la réussite à différents items se retrouvent bien à l’identique chez tous les enfants en développement ;
·       est illustrée par l’Echelle individuelle de la pensée logique (EPI), fondée sur le modèle piagétien classique par Longeot en 1969.

Ce type d’analyse se poursuit avec les modélisations Rasch (mathématicien) présentées comme une manière de mesurer, sur une même dimension sous-jacente de développement, à la fois des items et les performances individuelles à ces items, tout en repérant les enfants ou les items qui se situent mal dans cette hiérarchie.

3. EXPÉRIMENTATION ET COMPARAISONS

Expérimenter, c’est étudier les relations entre variables mais dans des domaines contrôlés. Cette approche du développement (hypothèses, plans d’expérience) est récente par rapport aux méthodes évoquées (observations, questionnaires, échelles). La Ψ expérimentale a modifié, dans les années 60-70, la conception de la Ψ des bébés en montrant des possibilités de réaction à des différences de stimulation.

La Ψ piagétienne s’est intégrée à la Ψ expérimentale puis aux approches strictement cognitives mais sans Piaget lui-même. Dans les années 70, il a étudié les processus de développement (la généralisation, la dialectique, etc.) avec la même méthode d’entretien qui lui avait permis de baliser le développement conceptuel (la logique, le nombre, les connaissances physiques, etc.), çad sans adopter une méthode expérimentale.

La démarche expérimentale se retrouve dans les approches comparatives, lesquelles, d’un point de vue méthodologique, consistent à comparer des groupes réels. Il ne s’agit pas de « quasi-expérimentation » car il est impossible d’isoler certaines variables en contrôlant les autres : les groupes étant réels, ils se différencient selon des variables indissociables.

Mais la réflexion expérimentale est possible -> comparer des groupes d’âge relève déjà d’une quasi-expérimentation puisque ce sont des groupes « naturels » et non « artificiels ». D’autres comparaisons entre groupes naturels en Ψ du développement : normal/pathologique, entre les groupes culturels…

La dimension culturelle de l’ontogenèse a également été travaillée par les psychologues du DEV, en particulier par Erikson. Les comparaisons interculturelles dans des situations expérimentales ont vraiment débuté dans les années 1960, sous l’impulsion de Bruner et de Piaget, e.a.

4. MODÈLES ET SIMULATIONS DU DÉVELOPPEMENT

Modéliser = utiliser des outils logiques ou mathématiques pour représenter un phénomène.

Le structuralisme de Piaget est une modélisation structurale car il y a utilisation ou fabrication, au besoin, des structures algébriques pour représenter de façon précise les connaissances et contraintes inhérentes à l’activité cognitive et ce, aux différents niveaux de développement. A ce titre, le structuralisme est bien une méthode ou une ascèse (réflexion rigoureuse).

Un autre type de modélisation recherche quelle équation mathématique (et dynamique par définition) peut décrire les changements développementaux et leur variabilité interindividuelle. L’être en développement est alors considéré comme un système complexe en perpétuelle transformation.

Une autre approche tente de reproduire artificiellement la forme des changements développementaux -> des simulations connexionnistes du développement sont proposées et consistent à s’appuyer sur un modèle du fonctionnement neuronal pour simuler des acquisitions psychologiques, grâce aux techniques actuelles de calcul informatique.

5. CONCLUSION ET TRANSITION

La Ψ du DEV se définit en fonction des méthodes qui le produisent. Le cadre théorique est nécessaire pour tirer des leçons des informations acquises par les différentes méthodes. L’évolution de la Ψ descriptive vers une Ψ expérimentale demande encore une réflexion théorique car ce qui est expérimentalement « prouvé » reste toujours très limité.
 
Méthodes d'observation : 

Méthode longitudinale :
Cela consiste à suivre le développement d'individus en temps réel, pendant un laps de temps déterminé. Evaluation répétée du ou des même(s) enfant(s).
Le développement est suivi d'un moment T à un moment Tn, avec éventuellement plusieurs mesures évaluations intermédiaires. La durée du suivi peut varier de quelques semaines à plusieurs années, et le rythme des mesures intermédiaire est lui aussi variable.

Méthode transversale :
L'approche transversale a la particularité de consister à étudier, à un moment donné, en une seule fois, plusieurs groupes d'âges donnés. L'approche transversale court-circuite le temps réel. On n'attend pas le développement réel de l'enfant.


LES THÉORISATIONS DU DÉVELOPPEMENT : DÉPASSER LES ANCRAGES TRADITIONNELS

Lorsqu'il s'agit d'interpréter les données factuelles ou de chercher à rendre compte
des changements ontogénétiques, les psychologues du développement ont fait appel à
trois grands types d'explication que l'on désignera ici par les termes de préformisme,
associationnisme, constructivisme. Curieusement, ces types d'explication ne se sont pas
historiquement succédé sous la pression des évidences expérimentales, mais ils ont plutôt
alterné au cours du temps, sous des formes et des labels divers, ou bien encore ils se
sont affrontés dans des débats théoriques dont on commence seulement à envisager le
dépassement. L'ouvrage de Richardson (1998) expose très clairement ces orientations
théoriques et leurs origines historiques. Il inclut également une présentation des théories
sociocognitives et des tentatives actuelles de renouvellement et d'intégration (connexionnisme,
systèmes dynamiques).

1. Les trois positions traditionnelles et leurs origines historiques : préformisme, associationnisme, constructivisme

Le caractère le plus général de la position préformiste est de considérer le développement
psychologique comme prédéterminé. Si le développement se déroule dans le
temps et sur plusieurs armées, les déterminants de cette évolution existent en réalité dès
le départ. Cette prédétermination peut s'entendre de deux manières. On peut tout
d'abord la concevoir comme une programmation de l'organisme. Dans ce cas, le temps
du développement, c'est celui de la maturation biologique. Par conséquent, cette
conception n'exclut pas le fait que des fonctions psychologiques nouvelles puissent apparaître tardivement, mais ces nouveautés sont le produit de transformations préprogrammées,

ce qui revient à dire que toute fonction nouvelle existe « en germe » dès le
départ. Une autre manière d'envisager la prédétermination est de postuler que des
connaissances sont effectives avant toute expérience et toute action dans le milieu environnant,
et qu'elles sont donc susceptibles de guider les acquisitions à venir. Cette position
« nativiste » a des origines philosophiques lointaines. On remonte habituellement
jusqu'à Platon qui tenait de son maître Socrate une réelle méfiance vis-à-vis des informations
provenant des organes sensoriels et qui considérait l'apprentissage comme une
démarche de l'esprit (pas de l'expérience) qui doit prendre conscience de ce qu'il sait
déjà de façon latente.

À la période moderne, l'explication du développement par la maturation biologique
est fréquente. On la trouve par exemple chez Gesell (Gesell et Ilg, 1946/1972,
p. 10), et aussi chez Wallon et Piaget où elle se mêle à d'autres facteurs explicatifs. Plus
récemment, certains cognitivistes expliquent le développement des compétences chez
l'enfant par le progrès endogène des capacités de la mémoire, ce progrès permettant un
traitement simultané d'un plus grand nombre d'éléments d'une situation (voir le
chap. 2 et l'un des aspects des modèles « néo-piagétiens »).

Quant aux théories nativistes, elles sont tout d'abord illustrées par les psycholinguistes
qui ont travaillé dans le prolongement ou à la suite des propositions théoriques
du linguiste Noam Chomsky. Mais elles se sont étendues à bien d'autres domaines que
celui du langage, en particulier le domaine des connaissances numériques (Gelman et
Gallistel, 1978). Elles ont entraîné, à partir des années 1970, la réalisation d'un très
grand nombre d'études dont l'objectif était de montrer la précocité et, par là même,
l'universalité des connaissances chez les bébés et de valider ainsi la prédétermination du
développement (« Nous naissons avec un patrimoine déterminé et donc avec l'aptitude
à l'exprimer. Naître humain signifie naître pour atteindre un certain état stable »,
Mehler et Dupoux, 1990/1995, p. 249).

À l'opposé du préformisme, l'associationnisme accorde un poids déterminant à
l'expérience. Selon ce point de vue, les connaissances sont issues des informations
perçues et des liens qui s'établissent entre elles. L'origine de cette conception
remonte là aussi à l'Antiquité. C'est Aristote (élève de Platon) qui, parmi de nombreuses
autres avancées scientifiques, a proposé que des associations se créent au travers
de la régularité de l'expérience et qu'elles se maintiennent en mémoire. Mais ce
sont les empiristes anglo-saxons des xvne et xviir siècles (l'Anglais John Locke,
1632-1704 ; l'Écossais David Hume, 1711-1776) qui ont radicalisé cette position en
faisant des associations le fondement même de la pensée. L'image de la « tabula
rasa », attribuée à Locke, est dans toutes les mémoires : à la naissance, l'esprit est
comme une table de cire vierge sur laquelle s'inscrivent et se relient les informations
perceptives. Toutefois, « l'expérience » chez Locke a une double nature : elle est
constituée des sensations (perception du monde sensible) et de la réflexion (perception
de notre activité mentale interne). Le courant associationniste n'a pas cessé jusqu'à
aujourd'hui avec, au xixe siècle, John Stuart Mill (1806-1873) puis Williams
James (1842-1910).

À l'époque moderne, l'associationnisme est représenté sous des formes très diverses
: théories béhavioristes (le développement se fait par un renforcement de liens entre
stimulations et réponses et ce renforcement dépend des conséquences, favorables ou
défavorables, qui suivent les réponses), réseaux sémantiques (les concepts sont des agrégats
de propriétés qui se constituent en réseaux), etc. Même le connexionnisme peut
être considéré comme une forme actuelle d'associationnisme. Mais alors, comme le souligne
Richardson (1998), il s'agit d'un « néo-associationnisme » qui s'est éloigné de
l'empirisme en acceptant l'idée de processus cognitifs innés ou, tout au moins, en
posant l'existence d'une architecture neuronale de départ (Elman et al., 1996).
Le constructivisme constitue le troisième pôle théorique de la psychologie du développement.
Il ne faut pas considérer cette orientation explicative comme un « juste
milieu » ou un « consensus mou » entre les deux premières. Il s'agit d'une démarche
d'analyse originale qui, elle aussi, a des racines anciennes. Le constructivisme établit,
dans sa caractéristique la plus générale (qui ne se limite pas aux fonctions intellectuelles),
que le développement psychologique résulte des reactions de l'organisme aux sollicitations
de l'environnement. C'est encore chez Aristote que l'on en trouve les prémices.
En effet, non seulement Aristote propose le principe des associations, mais il
valorise aussi l'intelligence, la « raison » qui permet de tirer les leçons de l'expérience.
Bien plus tard, Emmanuel Kant (1724-1804) exprimera des idées analogues : « Que
notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. (...) Mais
si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive
toute de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par expérience
fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que
notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles)
produit de lui-même » (1781 / 1961, p. 38). Le constructivisme a également ses racines
dans le concept d'épigenèse, utilisé en embryologie pour caractériser la construction de
formes physiologiques nouvelles au cours de l'ontogenèse.

Mais c'est incontestablement James-Mark Baldwin (1861-1934) qui a forgé les
concepts du constructivisme moderne. Dans le chapitre 2 de son ouvrage de 1985,
Case nous montre à quel point Baldwin anticipe Piaget sur le plan des concepts, de la
terminologie employée et même des situations d'observation (par exemple, Baldwin a
observé l'un de ses enfants, bébé, retrouvant un trousseau de clés dissimulé sous une
couverture...). Clairement, avec Baldwin, l'enfant construit ses connaissances, dès le
niveau sensori-moteur, par le jeu de l'assimilation (qui active des schèmes d'action) et
de l'accommodation (qui recherche des schèmes ou les coordonne lorsque l'assimilation
a échoué). Ainsi, la position de Kant se trouve modifiée, car les outils de connaissance
(« l'entendement » et la « raison » chez Kant) doivent eux-mêmes être construits. C'est
également l'une des thèses principales de Piaget.

Les conceptions de Piaget (voir le chap. 2) ont profondément influencé la psychologie
du développement au point d'en constituer pendant longtemps la théorie dominante
et de promouvoir du même coup le constructivisme au rang de référence obligée
(Bideaud, 1999). Piaget s'intéressait essentiellement aux adaptations actives des organismes
à leur milieu. Étudier la construction des connaissances chez l'enfant était pour lui
une manière de cerner ces adaptations actives puisque l'intelligence a pour fonction
d'élaborer des solutions rationnelles aux problèmes qui se posent dans la vie quotidienne. C'est ainsi qu'est née 1' «épistémologie génétique» (terminologie déjà présente chez
Baldwin, selon Case, 1985) : étude du développement des connaissances objectives. À
l'époque de Piaget, on parlait volontiers de « psychologie génétique », le terme de
« génétique » étant entendu au sens de « genèse ». Mais chez Piaget la psychologie
génétique est aussi, selon son propre vocabulaire, une « méthode génétique », car elle permet
de mieux connaître les fonctions psychologiques par le biais de leur construction
chez l'enfant. Le coffret de deux CD «Jean Piaget. Cheminement dans l'oeuvre scientifique
» (distribué par Delachaux et Niestlé) constitue une mine d'informations historiques
sur Piaget.

2. Le débat constructivisme/nativisme/évolutionnisme

C'est délibérément que les trois principales orientations explicatives — préformisme,
associationnisme, constructivisme — ont été présentées séparément dans le paragraphe
précédent. Mais, comme on peut s'en douter, des interactions conflictuelles ont
existé entre ces trois options théoriques. Ainsi, le constructivisme piagétien, tout comme
le cognitivisme au sens strict, s'est en partie constitué contre le béhaviorisme qui est une
forme d'associationnisme. De même, c'est essentiellement contre le constructivisme piagétien
que le nativisme moderne a émergé dans les années 1960 et 1970.

La controverse opposant Mehler et Bever (1967, 1968) à Piaget (1968) est une
bonne illustration de ce moment historique où débutent les discussions entre nativistes
et constructivistes. En s'inspirant de la tâche classique de conservation du nombre
(voir le chap. 2) Mehler et Bever ont montré que les enfants de 2 à 4 ans peuvent
déjà choisir la collection de bonbons la plus nombreuse (6 bonbons contre 4 dans
l'autre collection) sans tenir compte de la disposition spatiale. À l'époque, ce résultat
paraissait contredire les thèses piagétiennes Mais dans sa critique présentée l'année
suivante, Piaget (qui entre-temps a refait des observations dans des situations analogues)
ne manque pas de souligner la labilité des réponses des jeunes enfants. Surtout,
il dénie la qualité de « conservation » aux épreuves de Mehler et Bever, et considère
comme non pertinente l'invocation de structures innées pour expliquer la précocité
des « réussites ». En réponse, Mehler et Bever expriment leur accord sur l'inadéquation
du terme de « conservation » et, dans leur conclusion, ils affinent leur position
théorique d'une manière tout à fait instructive pour la suite de l'Histoire. En
effet, en déclarant : « Nous n'avons jamais eu l'intention d'argumenter exclusivement
en faveur d'une structure innée par opposition à des processus innés susceptibles de
dégager une structure à partir de l'expérience » (NB les soulignements sont des
auteurs), ils pointent effectivement le coeur du débat jusqu'à aujourd'hui : peut-on parler
de connaissances innées ou de mécanismes innés permettant de construire des connaissances
? Et pour finir, ils précisent que leur objectif est de chercher à mieux connaître
les stratégies et les intuitions des très jeunes enfants, c'est-à-dire le point de départ du
développement cognitif et ils annoncent ainsi l'un des thèmes majeurs des recherches
qui vont suivre.

En effet, à partir des années 1960 et 1970, le recours à des hypothèses nativistes,
bien illustré dans le débat historique entre Piaget et Chomsky (voir l'encadré 1.3), a de
beaucoup contribué au succès de deux grandes orientations de recherche. Selon la première
orientation, comme dans Mehler et Bever (1967), il s'agit de simplifier les tâches
piagétiennes de manière à en montrer la résolution possible par des enfants plus jeunes
que ceux observés par Piaget, ce qui souligne alors la précocité des compétences cognitives
et va dans le sens du nativisme. Une orientation complémentaire a suscité
l'invention de nouvelles procédures permettant d'évaluer des connaissances et compétences
cognitives chez les bébés. De ce fait, pendant quelques décennies, ce fut une
sorte de course à la mise en évidence expérimentale de la plus extrême précocité
possible.
Mais la position constructiviste ne s'en est pas trouvée déstabilisée pour autant. En
effet, la précocité d'une compétence n'implique pas obligatoirement que cette compétence
n'aurait pas été construite. Et surtout, la simplification des procédures et
l'invention de nouveaux paradigmes expérimentaux changent complètement la nature
de ce qui est évalué et ne remettent donc pas en cause les bornes développementales
identifiées antérieurement. Ainsi, paradoxalement, les recherches motivées par des
préoccupations nativistes ont abouti dialectiquement à une meilleure connaissance non
seulement des états initiaux du développement (ce que souhaitaient Mehler et Bever)
mais aussi du deroulement de la construction des connaissances depuis l'état initial jusqu'aux
niveaux balisés par Piaget. C'est bien ce qui semble se passer actuellement à
propos du nombre. Les synthèses actuelles en ce domaine (Mix, Huttenlocher et
Levine, 2002 ; Bideaud, 2002 ; Bideaud, Lehalle et Vilette, 2004) invitent plutôt à
considérer que si les bébés réagissent à des différences de numérosité c'est en tenant
compte d'indices perceptifs qui covarient avec la numérosité (étendue, densité, etc.), et
non pas en ayant abstrait la numérosité pour elle-même.

Par ailleurs, il est habituel de souligner que les interprétations nativistes ne font
que repousser à l'échelle phylogénétique l'explication des nouveautés structurales. Il est
donc tout à fait compréhensible que, dans les années 1980, une nouvelle « psychologie
évolutionniste » se soit constituée en renouant ainsi avec les préoccupations théoriques
du )(lx' siècle. Cette psychologie évolutionniste se différencie en deux aspects. Le premier
consiste à appliquer à l'ontogenèse les principes darwiniens que l'on invoque habituellement
pour rendre compte de l'évolution des espèces ; selon ce point de vue, le
développement peut se concevoir comme une sélection adaptative à partir d'une pluralité
de fonctionnements préalables (Siegler, 1984). Le second aspect est une conséquence
du nativisme. Il consiste à supposer que des modes de fonctionnement ont été
constitués à l'échelle phylogénétique selon des processus darwiniens et qu'ils se retrouvent
préformés à l'échelle ontogénétique où ils se manifestent directement, sans apprentissage,
comme des modules de traitements spécifiques au domaine fonctionnel considéré
(Sperber, 2002). Mais, comme l'a fait remarquer Gottlieb (2002), en citant à ce
propos Mivart (1871), la sélection phylogénétique n'opère pas directement sur des gènes
mais sur des gènes exprimés dans un environnement (phénotype). Autrement dit, les
comportements utiles à l'espèce préexistent obligatoirement à leur sélection naturelle, et
par conséquent le développement phénotypique de compétences (la variabilité) est un
préalable nécessaire pour que la sélection puisse opérer.

En résumé, le nativisme moderne s'est constitué contre le constructivisme, tout
particulièrement celui de Piaget, mais il conduit obligatoirement à une psychologie évolutionniste
qui en définitive ne peut ignorer le développement, ce qui nous ramène au
constructivisme. Cette circularité de l'explication invite à rechercher de nouveaux
modèles explicatifs de l'ontogenèse : a) en retenant du nativisme la nécessité de mieux
connaître les états initiaux et de les décrire en positif et non pas comme des manques
par rapport aux fonctionnements ultérieurs, b) en gardant du constructivisme l'idée de
transformations produisant à plus ou moins long terme des connaissances et des outils
de connaissance nouveaux, e) en reprenant de la psychologie évolutionniste l'évidence
de mécanismes d'acquisition caractéristiques de l'espèce.

3. L'evolution des concepts : exemple de la notion de stade

Le concept de stade est l'un des plus caractéristiques des approches théoriques du développement.
Pendant longtemps, chez Luquet (1927) par exemple, les descriptions en stades
de développement n'avaient pas directement de visée explicative. C'était une manière de
souligner les changements qualitatifs qui se manifestent au cours de l'ontogenèse et de rassembler
sous la forme de caractéristiques générales les propriétés communes de comportements
observés à un moment du développement. Cependant, déjà chez Baldwin (Case,
1985), les « stades » (que Baldwin désigne par le terme « d'époques » / ≪ epochs ≫) sont
conçus comme une séquence universelle de transformations nécessaires.

Mais avec Wallon et Piaget, l'analyse des relations entre stades successifs devient
plus explicite et, de ce fait, les systèmes de stades progressent dans la direction d'une
recherche d'explication : préciser les relations entre stades successifs devient une
manière d'approcher le processus même du développement. Dans son Histoire de la psychologie,
Reuchlin (1957/1961) ne manque pas de relever les différences qui apparaissent
entre la conception de Wallon et celle de Piaget. Chez Piaget, le processus de développement
est progressif et continu mais il aboutit cependant à des constructions cognitives
qualitativement nouvelles qui intègrent les précédentes. Chez Wallon, les changements
se manifestent par des crises, des conflits, des discontinuités, et par exemple la « loi
d'alternance fonctionnelle » stipule que le passage d'un stade à un autre se traduit par
un changement d'orientation, avec une « alternance » entre la centration sur la construction
personnelle interne et intime, et la centration sur les échanges avec le monde
extérieur. Quelques années après Reuchlin, Tran-Thong (1967/1971) s'est attaché,
dans un volumineux ouvrage, à la comparaison systématique de quatre systèmes de stades
: ceux de Wallon et de Gesell (qu'il considère comme relevant d'une approche
« concrète et multidimensionnelle » p. 416), et ceux de Freud et de Piaget (dont les
approches seraient « abstraites et unidimensionnelles »).

À vrai dire, si les psychologues du développement ont multiplié les descriptions en
stades, chacun n'hésitant pas à proposer son propre système, sous la forme de stades
généraux ou à propos de domaines fonctionnels spécifiques, ils ont beaucoup plus rarement
réfléchi à la notion même de stade et rarement confronté leur point de vue sur ce
concept. Le symposium de 1955 à Genève fait figure d'exception (voir l'encadré 1.4).

L'idée habituelle que l'on se fait de la notion de stade est celle d'une généralisation
quasi automatique du fonctionnement caractéristique d'un stade, à toutes les situations
relevant du même domaine fonctionnel. Un enfant serait «dans» un stade et, de ce fait,
il « devrait » toujours se comporter selon les critères relatifs à ce stade. Faute de quoi, la
théorie considérée serait à revoir. Dans un contexte piagétien, on parle de « décalage
horizontal » pour désigner l'absence de synchronie dans l'accès à un stade selon les
domaines fonctionnels, et cette absence de synchronie est souvent jugée comme une
invalidation du modèle piagétien. Mais il faut rappeler que c'est Piaget lui-même qui a
proposé et défini la notion de décalage horizontal dès 1941, et parmi les critères de la
notion de stade qu'il a exposés au symposium de 1955, il distingue pour chaque stade
une période de préparation et une période d'achèvement (généralisation). Il est donc
normal qu'un enfant ne fonctionne pas toujours au même stade. Il est normal également
qu'un niveau d'achèvement dans un domaine fonctionnel ne s'observe pas nécessairement
chez tous les adultes, bien que ce niveau puisse constituer l'aboutissement
nécessaire du développement pourvu que celui-ci ait l'occasion de se poursuivre dans le
domaine considéré.

Ainsi, contrairement à l'opinion commune, les spécialistes du développement
coordonnent désormais la notion de stade avec celle de variabilité intra- et interindividuelle.
C'est très clair dans la modélisation de Walker et Taylor (1991) à propos des
stades du jugement moral (d'après Kohlberg, 1969). Selon ces conceptions, les réponses
d'un enfant donné, à un moment donné de son développement, se distribuent
entre plusieurs stades, mais pas n'importe comment : il y a un stade modal (le plus fréquent),
mais quelques réponses sont d6à au-dessus de ce stade modal et quelques
réponses sont encore au-dessous ; le développement se traduit alors par un « glissement
» de cette distribution des réponses en suivant la séquence de stades. Plus généralement,
l'introduction d'une approche différentielle en psychologie du développement
est très largement une contribution française ou « franco-suisse ». Cette « French
connection» postpiagétienne a fait l'objet d'une série de commentaires dans Child Development,
à la suite d'un article de Larivée, Normandeau et Parent (2000) où se trouvent
présentés les travaux de J. Bideaud, J. Lautrey, F. Longeot, M. Reuchlin, A. de
Ribaupierre, L. Rieben.

Parallèlement à cette prise en compte des variabilités, de nouvelles descriptions du
développement n'ont pas cessé d'être proposées. Ainsi, le groupe des « néo-piagétiens »
(Demetriou, 1988 ; et le chap. 2) a beaucoup fait évoluer notre représentation du développement
cognitif : nouvelles descriptions en stades (avec, dans certains systèmes, la
réitération de la même succession de « sous-stades » à tous les « grands » stades distingués),
tout en intégrant la variabilité, surtout chez Fischer.

En définitive, les systèmes de stades actuels traduisent toujours les contraintes de
l'ontogenèse. L'idée de succession nécessaire est maintenue. Mais puisque les changements
développementaux apparaissent désormais comme dépendant des contextes ou
même comme véritablement construits dans chaque contexte, la succession nécessaire
exprimée par un système de stades s'accorde avec le constat des variabilités
individuelles.

4. Les incertitudes et ouvertures actuelles

Les analyses actuelles du développement ne se réfèrent plus à une théorie dominante
comme cela pouvait sembler être le cas dans les années 1960 avec la psychologie
piagétienne. Nous assistons plutôt à l'émergence de directions nouvelles de modélisation
qui intègrent les descriptions en stades et sont compatibles avec le renouvellement de
l'intérêt pour les déterminants sociaux du développement (voir le chap. 2).

Le premier type de modélisation utilise les concepts et la méthodologie du
connexionnisme. Comme illustré par Elman et al. (1996) l'idée est de construire des
réseaux de neurones « formels » dont le fonctionnement est susceptible de simuler les
acquisitions réelles. Cela revient à calculer informatiquement, selon des règles plausibles
d'un point de vue neuronal, l'évolution des liens entre des « situations-problème » et les
« réponses » du réseau. L'intérêt théorique de ces simulations est de montrer que des
changements développementaux complexes peuvent se produire à partir d'interactions
entre éléments relativement simples et sans avoir besoin de postuler des connaissances
préalables.

Les simulations connexionnistes produisent des évolutions « non linéaires », avec
des périodes d'accroissement rapide et des périodes de stabilisation. Plus généralement,
les modèles dynamiques non linéaires (Newell et Molenaar, 1998) consistent à rechercher
des équations mathématiques susceptibles de décrire la forme (non linéaire) des
évolutions psychologiques à plus ou moins long terme (l'adjectif « dynamique » signifie
simplement « au cours du temps »). Dans ce cas, les « stades » peuvent être considérés
comme des « attracteurs », c'est-à-dire des équilibres provisoires, ce qui prolonge la
conception piagétienne. A priori toutes les descriptions développementales sont susceptibles
d'une modélisation dynamique et par exemple Van Geert (1994) a proposé une
reformulation dynamique des conceptions de Vygotski. Par ailleurs, ces modélisations
intègrent la variabilité puisque des changements de paramètres dans une même équation
dynamique sont susceptibles de produire des évolutions très différentes, pas toujours
majorantes mais où le futur dépend toujours du passé.

Connexionnisme et modélisations dynamiques conduisent à penser le développement
en termes d'auto-organisation. Cette approche est susceptible de constituer un
nouveau paradigme dominant intégratif (Lewis, 2000). Cependant, à un niveau
d'approche plus directement significatif, les modélisations structurales gardent tout leur
intérêt, ne serait-ce que pour « baliser le développement » en vue d'une modélisation
dynamique qui relierait les moments repérés. Actuellement, les modèles structuraux
visent à décrire des organisations cognitives en coordonnant le niveau fonctionnel
(i.e., en situation) et le niveau conceptuel, et cela aux différents moments du développement
(voir par exemple Rittle-Johnson et Siegler, 1998, à propos des activités
numériques).

5. Conclusion et transition

En résumé, l'histoire des théorisations du développement nous invite à dépasser les
ancrages traditionnels comme celui qui oppose « nativisme » et « constructivisme ».
Certes, ces deux conceptions sont a priori incompatibles et il convient de bien repérer de
telles incompatibilités explicatives.
Mais, au-delà de ces oppositions historiques, l'évolution des conceptions théoriques
en psychologie du développement aboutit à différencier des types d'interrogations développementales
pour en montrer la complémentarité. En définitive, théoriser le développement,
c'est coordonner trois types d'interrogation (Lehalle et Mellier, 2002/2005) :
une interrogation sur le processus du développement (son déroulement en micro- et en
macrogenèse), une interrogation sur les mécanismes qui produisent les changements
(mécanismes innés et « neuronaux », mais sans postuler pour autant des connaissances
innées), une interrogation sur les déterminants du développement, les déterminants
sociaux en particulier, qui sollicitent les mécanismes et produisent le déroulement développemental
tout en le différenciant.
Toutefois, les débats théoriques, méthodologiques et conceptuels en psychologie du
développement ne suffisent pas à en expliquer l'histoire, et il nous faut pour finir suggérer
l'impact des déterminants sociaux.

LIRE LE PREMIER TEXTE DU POLYCOPIE N°1 (Bourdais) :
Questions sur ce texte "Les racines de la psychologie de l'enfant, de S. Netchine", T3, Paris, Dunod, 1993 :

1) Transitions sociales qui permettent la découverte du développement de l'enfant et la psychologie de l'enfant ?
2) Transition scientifiques qui permettent l'évolution de la psychologie de l'enfant ?
3) Comment évolue la psychologie de l'enfant ?
Prendre des notes sur documentaire au sujet de l'histoire de Freud.


1 commentaire:

  1. BONJOUR JE VOUDRAIS FAIRE PARTIR DE VOTRE LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE DU DEVELOPPEMENT

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