mardi 12 mars 2013

Approche éthnopsychiatrique (Sironi)

Plan du cours :

1)  Définition et explicitation du nom « Ethnopsychiatrique »
2) Les fondateurs : 1° Georges Devereux / 2° Tobie Nathan
3) Maladies et cultures
4) Les dispositifs thérapeutiques transculturels

« Approche ethnopsychiatrique » ou « ethnopsychanalytique » ou « psychologie transculturelle » ou « psychologie interculturelle » à Ces termes sont plus ou moins équivalents parce qu’ils traitent de la même chose.
L’approche ethnopsychiatrique est une approche créée dans les années 50 par Georges Devereux.

Définition
L’ethnopsychiatrie est une approche pluridisciplinaire, qui prend en compte à la fois les aspects psychologiques et culturels de la vie du sujet et ce dans les dimensions normales ou pathologiques. La culture a une place intégrante de la vie du sujet. L’approche entre la psychologie et les autres disciplines se fait par complémentarisme* àpour expliquer un problème, pour comprendre un sujet notamment un migrant, on va voir comment la psychologie peut nous aider à comprendre le sujet et s’il y a des angles mort, s’il y a des choses que l’on n’arrive pas à expliquer par la psychologie, on va s’intéresser à la culture de la personne* => anthropologie = étude des sociétés
Ce complémentarisme (anthropologie + psychologie) de l’approche ethnopsychiatrique s’exerce également avec la sociologie.
L’idée de cette approche et de cette méthode de complémentarisme, c’est de ne pas s’enfermer dans la pensée unique d’une discipline, ce qui a un danger* à fabriquer des angles morts. Il faut aller voir si d’autres disciplines peuvent nous aider à penser.

Face à tout problème, il est impossible de s’en tenir à une seule explication qui est souvent réductrice.

Il faut au minimum avoir deux approches.

Le chaman (ou « shaman »), selon les critères occidentaux, est un psychotique alors que dans la culture chamanique, il est perçu comme un guérisseur. « Qui a tort ? Qui a raison ? »
Pour Georges Devereux (psychanalyste de formation), « il y a deux inconscients ». Un sujet est déterminé par 2 inconscients. Il y a un inconscient individuel qui se superpose à un inconscient « socio-ethnique »* c’est-à-dire qui représente l’accumulation du passé de la famille ou alors du clan et qui donne une certaine épaisseur culturelle à la vie du sujet. Cette forme d’héritage, cet inconscient socio-ethnique est aussi inconscient au sujet. L’ethnopsychiatrie est une psychologie culturellement informée. La culture, cela veut aussi dire que quand on est un professionnel de l’approche ethnopsychiatrique, on va s’intéresser aux singularités, à ce qui est singulier à chaque culture et dont le patient peut être porteur. On ne va pas demander aux gens d’être comme tout le monde.
L’approche ethnopsychiatrique ne discrédite aucune théorie culturelle. Partout dans le monde où il y a des cultures et des civilisations, chaque culture a sa manière propre d’expliquer d’où viennent les enfants par exemple. Il y a des théories qui varient en fonction des cultures. L’approche ethnopsychiatrique ne juge pas. On s’intéresse à toutes les fabrications humaines, les différentes manières de penser la maladie etc.

« L’ethnopsychiatrie, qu’est-ce-que cela veut dire ? »
Ethno/psy/chiatrie = le soin, l’analyse qui prend en charge la psychologie individuelle et le groupe.

« Ethno » – Georges Devereux (fondateur de l’approche ethnopsychiatrique) a dit que cela voulait dire « le groupe »
« psy » – La psychologie individuelle
« chiatrie » – Le soin ; l’analyse

Les deux grands fondateurs
Tout d’abord nous parlerons de Georges Devereux (1905 – 1987).

Georges Devereux est né à Lugos (ville à la frontière entre la Hongrie et la Roumanie) en Hongrie. Lugos était une ville qui était à l’époque de temps en temps Roumaine, de temps en temps Hongroise. Enfant, du jour au lendemain, Georges Devereux était amené à changer de culture (La langue véhicule la culture). C’est pour ces raisons qu’il a été sensible à l’ethnopsychiatrie. Il était obligé de changer de langue, de culture lorsque la ville devenait Roumaine. Il était interdit au peuple de parler le Hongrois. Quand la ville redevenait Hongroise, les individus devaient à nouveau se remettre à parler Hongrois et à suivre les traditions qui correspondaient à la culture du pays.
Georges Devereux a fait des études de Grecque, c’est un Helléniste (spécialiste des civilisations antiques), un psychanalyste et un anthropologue. Il a enseigné à l’école des hautes études en sciences sociales.
Georges Devereux a également fait des recherches sur les indiens Mohaves. Il a fait une étude sur la psychopathologie des indiens Mohaves.
Il y a un terme qui évoque « la névrose du scalpeur ». Des chasseurs tombaient malade parce qu’ils avaient pris l’esprit des animaux qu’ils ont tué sans prier, sans leurs rendre justice, sans faire de rituel, sans passer par des huttes de sudation (sans se purifier de la présence de l’âme de l’animal qu’ils ont pris pour se nourrir). Georges Devereux s’est intéressé à faire cette catégorisation des types de maladies qui existent chez les indiens.
Il s’est également intéressé à la « manière de penser la maladie et la vie » des Sedang Moï (au Vietnam) et a aussi fait une authentique psychanalyse d’un indien Mohave : « Psychothérapie d’un Indien des Plaines ».
Georges Devereux a fait de nombreux travaux en France. Il a beaucoup écrit et a beaucoup enseigné mais il n’a pas créé de consultations ethnopsychiatriques à donc très peu de pratique.

Tobie Nathan (1948toujours en vie) a créé le Centre Georges Devereux du nom de son maître. Ce centre existait à paris 8. Il était au rez-de-chaussée et a été créé en 1993.
Le Centre était à l’université parce que cela faisait partie du département de psycho et en même temps il y avait une recherche. Tobie Nathan s’est intéressé à l’ethnopsychiatrie parce qu’il est né à Alexandrie en Egypte. Il est Juif. Son grand-père était pharmacien (métier de soin). A 9ans, à l’arrivée de Nasser, les Juifs d’Egypte ont été chassés. Tobie Nathan est allé en Italie puis sa famille et lui-même se sont installés à Paris. Il a fait des études de sociologie et a une formation de psychanalyste. Il a monté une consultation d ethnopsychiatrie à la PMI de Villetaneuse (en Seine-Saint-Denis) + à l’hôpital de Bobigny etc. Il a créé cette ethnophsychiatrie clinique. Ces consultations se sont démultipliées. Aujourd’hui il y en a partout. Des consultations s’ouvrent là où les sujets ont un intérêt entre psychologie et culture et là où il y a beaucoup de migrations, d’interfaces, de rencontres entre différentes cultures : Au Japon à ils ont une manière différente de penser le monde, la maladie… en Italie, en Suisses etc.
 Maladies et cultures
Tout d’abord, il n’est pas question de croire, d’adhérer aux manières de penser des autres (sorcellerie, dieu, possession etc.) Le psychologue va être un véritable chercheur pour s’intéresser au monde de l’autre sans perdre sa propre manière d’être. Il s’agit d’analyser la culture de l’autre pour le comprendre. Le psychologue va essayer de comprendre d’autres rationalités, d’autres cohérences, d’autres logiques de penser.

Tableau des différentes conceptions de la maladie

Sociétés Occidentales Sociétés traditionnelles
La maladie est individuelle. Elle a une portée individuelle. La maladie n’est jamais la maladie d’un individu. On va se questionner, essayer de décoder, de comprendre ce qui arrive au groupe. La maladie est un message.
La maladie est un dysfonctionnement interne. Le mal vient d’une origine externe au sujet. La bonne santé c’est l’harmonie. La maladie est considérée comme un désordre social. Le monde n’est plus en ordre.
La maladie peut être une épreuve à traverser pour les personnes croyantes ou possédant une forte spiritualité. Maladie considérée comme une épreuve à traverser.
On s’intéresse aux symptômes et après aux causes plus profondes. On ne s’intéresse pas à l’ensemble de la personne. On ne traite pas le symptôme mais on traite la cause et le devenir.
Le corps est simplement fait d’organes. Le corps est la résultante des ancêtres. Le corps est le dépositaire des ancêtres et ces derniers peuvent se manifester au travers de notre corps. (culture asiatique et africaine)
Exemple : maman cambodgienne. Elle savait que son bébé était autiste mais en même temps elle avait une conception traditionnelle de la maladie (la grand-mère avait dû être laissée au Cambodge quand cette maman a fui le pays avec son bébé pour la Thaïlande. La grand-mère de l’enfant est décédée près d’un arbre. Son esprit n’étant pas en paix, il se manifeste au travers de sa petite fille. Cette conception traditionnelle aide cette femme à mieux investir son enfant.
L’ancêtre est mal morte, elle revient à travers l’enfant – On va donc l’honorer.
On distingue le corps et le psychisme. On peut faire de la psychologie sans être médecin. Tout est lié (social, psychologique et physique).

Maladie peut être considérée comme un déficit du souffle vital.

Vocabulaire > Psychose puer perale* = psychose qui se déclenche au moment de l’accouchement. La maman ne reconnaissait plus son enfant. Elle était effrayée parce que le placenta avait été jeté : « Où est ce double qui a permis à l’enfant de naître ? »
La maman ne savait pas pourquoi on accouchait à l’hôpital, elle ne savait pas pourquoi les femmes accouchaient de cette manière en Occident. Dans le cadre d’une consultation d’éthnopsychiatrique, ce sont les logiques culturelles que l’on amène, que l’on explicite.
Dans la culture de cette femme, le placenta est le double de l’enfant. Chez les bambaras on enterre le placenta sous un arbre. On l’honore. On reconnait tous ces restes qui étaient notre double. Si l’enfant tombe malade à le docteur traditionnel lui donnera un bout de placenta (il déterrera le placenta, en fera un médicament par exemple pour pouvoir ensuite le donner à l’enfant).
Il y a différents systèmes d’approche de la maladie et donc différentes manières de traiter les maladies dans le monde.
En ce qui concerne les différents systèmes d’approche, dans le monde (dans les approches non occidentales) nous avons des grands systèmes de conception d’attribution du sens à la maladie (nous avons différents systèmes d’interprétation de la maladie) :
-        La possession 
-        Les enfants magiques ou les enfants ancêtres : Notre corps nous appartient mais il peut être traversé par un ancêtre.
-        Le chamanisme
-        La sorcellerie : système d’interprétation du mal
-        Les envoutements et les maraboutages
-        La frayeur : Dans beaucoup de cultures dans le monde, la frayeur est la cause, l’étiologie de nombreuses pathologies, de maladies
-        Les systèmes religieux et les systèmes spirituels : exemple du « démon » à la thérapie consiste en la négociation avec les forces du mal.

Chaque système d’’interprétation inclut une thérapeutique.

La possession
C’est un diagnostic traditionnel qui existe dans plusieurs cultures comme l’Afrique du Sud : Congo, Ethiopie, Kenya… Les Amériques Noirs (Haïti et les Antilles), et également dans les systèmes Chrétien* => épidémies, crises de possessions dans les couvents – « Qu’est ce qui vient posséder les religieuses ? » à Le diable (avec ses tentations sexuelles etc.)

Ce diagnostic de possession a été remplacé par l’hystérie. On a essayé de remplacer un diagnostic par un autre mais ce n’est pas du tout la même chose.

La possession désigne l’occupation d’une personne par un être culturel c’est-à-dire qu’il a une existence dans la culture. « Qui est cet être culturel ? » Cela peut être un génie, un démon, un Saint, un mort (mort qui n’est pas forcément de notre famille) qui vient posséder un vivant ou un ancêtre (quelqu’un de notre famille).
On distingue la possession maladie (Une personne est possédée. Ex : Un homme parle avec une voix de femme) et la possession thérapie* (Ex : au Zaïre, en Haïti, on peut assister à un rituel de possession => C’est un rituel publique (on peut y assister) = rituel de thérapies collectives / En Occident, le système de soin est privé.). La formation des thérapeutes, des chamans est privée. Ne devient pas chaman qui veut.

Les enfants ancêtres / Les enfants magiques
Dans certaines cultures, le nouveau-né est considéré comme un étranger que les parent doivent accueillir, apprendre à connaitre, humaniser, adopter. L’enfant vient d’ailleurs. On pense beaucoup de cette façon dans les cultures où il y a beaucoup de morts d’enfants en bas âge. Lorsque l’enfant décède, on dit que « c’est un enfant qui est reparti parce qu’il n’était pas assez bien chez ses parents ». On pense en fonction de la réalité des faits.
Une fois que l’enfant est là, On va le nommer. Le système de nomination change en fonction des cultures. Dans le monde occidental, les parents choisissent le prénom en fonction d’un parent proche etc.
Chez les Yorubas, le système de nomination est le suivant à Chacun possède 4 noms. Chaque individu a :
-        un nom qui le lie aux ancêtres (grand père / arrière-grand-père etc.)
-        un qui le relie a une divinité, qui le relie au système de croyance des Yorubas
-        un qui est lié à un évènement de la grossesse de la mère (Ex : L’enfant donnait des coups de pieds à prénom : coup OU la maman avait envie de fraises pendant la grossesse à prénom : Fraise) parce qu’on dit que le bébé donne déjà des signes de qui il est
-        un qui désigne personnellement l’enfant. Ce dernier nom est secret. Personne ne le connait a part celui qui l’a donné mais personne d’autre ne doit le connaitre. Si quelqu’un connait le nom de l’enfant, ce dernier peut être tué. Si l’enfant tombe malade, on ira « déterrer » le nom. On travaillera autour de la nomination et un prêtre par exemple pourra décider de changer le prénom de l’enfant.
Quand un enfant vient, on essaye de savoir qui il est.
Les enfants parlent la « langue des oiseaux », ils parlent la langue du monde d’où ils viennent. Dans le cas des autistes, des mutiques ou dans le cadre des psychoses d’enfants, on va dire que l’enfant n’est pas tout à fait accroché à ce monde, qu’il a encore envie de partir ou de rester encore un peu accroché au monde d’où il vient.
Un enfant psychotique qui vient d’une culture traditionnelle à On va le penser avec les étiologies de là-bas : « Que va-t-on faire pour que l’enfant reste ici et qu’il oublie l’autre langue (la langue des oiseaux) » ?
Aucun humain ne parle la « langue des oiseaux ». Le psychologue (en Occident) va tenter de l’interpréter. On allie thérapie traditionnelle et thérapie occidentale.
Il y a aussi des enfants qui sont mal nommés. Chez nous par le passé, il y avait aussi cette idée. Exemple d’un enfant qui tombe souvent malade à Cet enfant est mal nommé. Il faut le renommer. Il y a des cultures dans lesquelles le prénom peut changer en fonction de la vie. Le prénom dans certaines cultures n’a pas autant d’importance que chez nous, en Occident.
Ex : le prénom René était donné à des enfants que l’on appelle « les changelins ».  René était le prénom que l’on donnait lorsqu’on changeait le nom d’un enfant. On pouvait par exemple donner ce prénom à un enfant qui avait souffert d’une maladie très grave et qui avait survécu. « René » parce que à renaître.
On appelait « changelins » les enfants dont on changeait certaines choses. On changeait les petits garçons en petites filles : c’était une ruse pour les forces du mal qui veulent faire du mal à l’enfant – C’était une stratégie de camouflage.

Chamanisme
Le chamanisme est très présent dans l’air culturel Asiatique mais il existe également en Australie aborigène, en Amérique du Sud, en Russie, en Sibérie, en Asie de l’Est… Comment le chamanisme peut-il être exactement le même partout sur l’aire géographique la plus étendue du monde ?
Le chamanisme a deux modèles : Il comporte 2 théories étiologiques (causes) – « Pourquoi on tombe malade ? »
-        Perte d’âme : La maladie s’explique par le fait qu’il y a eu la transgression d’un tabou ou l’imprudence d’un rêve* à Ex : L’accouplement avec un mort ou un sorcier.
-        La sorcellerie : La maladie s’explique par l’attaque du malade, par un sorcier que le chaman devra identifier et terrasser.

Qui sont les chamanes et comment font-ils ?
Dans le rituel thérapeutique à proprement dit, le chaman part en transe. Le patient est passif. C’est le chaman qui va travailler pour aller récupérer l’âme du patient.
Le chaman va entrer en transe (pour faire un voyage, un trip) avec des substances (jus de tabac ; substances psychédéliques ; cactus de San Pedro). Il part en voyage terrasser les esprits. Le patient ne fait rien. Quand le chaman revient, il dit par exemple au patient de ne pas manger telle chose pendant tant de temps. Quand le rituel thérapeutique fonctionne, le patient n’a plus de symptômes.
Le chaman est un spécialiste du rêve. Il fait des voyages thérapeutiques. Dans l’univers chamanique, il y a des cultures où les individus se mettent en rond et racontent leurs rêves. Le rêve est pour eux une continuité du monde du jour qui se produit autrement.
Les personnes qui viennent d’univers chamanique ont des rêves beaucoup plus riches que nous Occidentaux. Si depuis notre plus jeune âge on s’intéressait à nos rêves, nous rêverions différemment. Dans la culture chamanique, on nous apprend à rêver pour voir des choses.
« Les chamans sont-ils psychotiques ? » Les chamans sont extrêmement particuliers parce qu’ils sont en relation avec plusieurs mondes. Ils n’ont pourtant rien à voir avec des psychotiques. Ils sont simplement étranges. Ils ont des particularités mais à côté de cela, ils soignent des individus.
Le chaman est un passeur de monde. Il n’est ni dans le monde des divinités, ni dans le monde des hommes.
/ ! \ La psychose => C’est un appauvrissement.

La consultation d’ethnopsychiatrie
La consultation est animée par des psychologues (ou des psychiatres). Il peut y avoir de nombreuses personnes. Ce n’est pas une thérapie individuelle. Le patient vient avec qui il veut. Il n’y a aucune contrindication. On passe d’un monde, d’une étiologie culturelle que l’on connait, à un autre monde.
/ ! \ On n’utilise pas de techniques de désensorcellement en consultation. Ce serait jouer à l’apprenti sorcier. De plus, en cas d’aggravation des symptômes, le psychologue pourrait être accusé.
Dans une consultation, le psychologue, le médecin qui suit le patient peut venir. Ce qui est intéressant, c’est que tous ceux qui participent aux soins du patient soient présents.

La consultation vient toujours en plus d’une psychothérapie habituelle.

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